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Brèves remarques sur « Le Coup d’État d’urgence » d’Arié Alimi

J’ai lu l’essai d’Arié Alimi, Le Coup d’État d’urgence : surveillance, répression et libertés, qui vient de paraître au Seuil.

Je suis d’accord avec l’essentiel des analyses. Le principal intérêt du livre, c’est de replacer la réponse politique à la crise sanitaire dans un temps long, en montrant comment les différentes mesures prises (confinement, couvre-feu, application de traçage, répression policière, démantèlement des contre-pouvoirs…) sont cohérentes avec des évolutions entamées il y a bien longtemps, et qui avaient déjà connu un coup d’accélérateur en 2015, avec l’état d’urgence anti-terroriste. Pour moi, ce genre d’analyses bat en brèche certains discours selon lesquels il faut consentir à des restrictions « temporaires » à nos libertés : ces restrictions, en fait, on toutes les chances de ne pas être temporaires du tout, mais de s’inscrire dans la durée. Dès lors, la question n’est pas de savoir si, disons, il est légitime de se confiner quelques mois pour sauver quelques dizaines de milliers de vie, mais si, pour sauver quelques dizaines de milliers de vie, il est légitime d’accepter une érosion accélérée de l’État de droit, la mise en place durable d’une société de contrôle et de surveillance, le renforcement de l’État policier, et, plus généralement, le fait que nos libertés fondamentales perdent désormais leur caractère d’évidence, et ne soient plus que des autorisations octroyées par le pouvoir… sous réserve que la situation le permette. En prenant un peu de champ, en prenant un peu de recul – et Arié Alimi nous y aide – il me paraît difficile d’accepter cette idée, fût-ce au nom de l’urgence sanitaire.

Le seul chapitre qui me pose un peu problème, c’est le dernier, sur « La plainte pénale comme contre-pouvoir » (tiré d’un article publié par l’auteur pendant le premier confinement). Arié Alimi y défend l’idée que dans une situation (celle du premier confinement) où tous les contre-pouvoirs démocratiques habituels étaient suspendus ou rendus plus difficiles à exercer (droit de réunion, droit de manifestation, droit de grève, droit de vote…), la plainte pénale contre les ministres pour « homicide involontaire » ou « abstention de mettre en œuvre des mesures permettant d’éviter un sinistre » demeure le seul contre-pouvoir effectif, et qu’il faut donc s’en saisir. Or je crains qu’une telle position, au rebours de celles défendues dans le reste du livre, ne fasse le jeu des confinistes. Car elle semble prendre pour acquis que le principal problème de cette crise, c’est « ces milliers de morts et de contaminés qui auraient pu être évités » (p. 175) ; dès lors, comment ne pas craindre que ce recours à l’outil pénal ne renforce les pulsions confinistes, sécuritaires, liberticides, des gouvernants ? (On a parfois dit que Macron était l’un des moins « confinistes » au sein de l’exécutif, et que c’était parce qu’il était pénalement irresponsable). Bien sûr, on peut tout à fait reprocher au gouvernement, y compris devant un tribunal, d’avoir omis de prendre certaines mesures non-liberticides (comme le renouvellement du stock de masques). Mais la menace de poursuites judiciaires risque fort d’inciter le gouvernement à vouloir minimiser le nombre de morts à tout prix, au détriment de toutes les autres variables, surtout les moins quantifiables d’entre elles, comme l’atteinte portée aux libertés civiles. Aucun ministre ne sera jamais poursuivi pour avoir confiné tout un pays. Dès lors, pourquoi se gêneraient-ils, si on suppose que ça permet de sauver des vies et donc de sauver sa propre peau devant la justice ? Cette menace de plainte pénale introduit un biais sécuritaire dans la réponse politique à la crise. Certes, l’auteur m’a fait remarquer, sur Twitter, que la menace de plainte pénale était susceptible de favoriser une plus grande prise en compte du Parlement par l’exécutif, et donc d’entraîner une pratique moins autoritaire du pouvoir. C’est en effet un point intéressant, mais je ne suis vraiment pas sûr que ce bénéfice compense les risques que comporte la judiciarisation des décisions, surtout quand les mécanismes institutionnels de la Ve République garantissent un haut degré de servilité de l’Assemblée nationale vis-à-vis du gouvernement et du Président de la République.

Prenons un cas. Arié Alimi cite le maintien du premier tour des municipales comme un exemple de ce qui pourrait motiver une plainte pénale (p. 174). Je ne dis pas du tout que ce choix de maintenir les élections était judicieux, mais en l’occurrence, il y avait un arbitrage à faire entre la sécurité sanitaire, et la préservation de la vie démocratique du pays. Un tel dilemme pourrait bien se reposer à l’avenir (certes dans d’autres conditions, et avec des masques cette fois), par exemple lors des régionales de juin 2021. On peut arbitrer dans un sens ou dans un autre, mais on ne peut pas prétendre que ce soit complètement anodin, d’un point de vue démocratique, de reporter des élections et de proroger les mandats électifs au-delà de leur terme théorique. On est là typiquement dans le cas où il faut faire un compromis entre des exigences contradictoires, et il serait fâcheux, par exemple, que la menace des plaintes pénales conduise l’État à reporter systématiquement les élections aux calendes grecques, non seulement par peur de l’épidémie, mais aussi voire surtout par peur de la responsabilité pénale individuelle.

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Exploitation et “dignité” : un point aveugle de Ronald Dworkin

Je viens de terminer Justice pour les hérissons, de Ronald Dworkin (Genève, Labor et Fides, 2015, 1re éd. 2011), et le moment est venu de faire un petit bilan de ma lecture. J’ai beaucoup aimé les premiers chapitres, parce que :

  • j’ai été séduit par l’ambition considérable de l’entreprise – élaborer un système cohérent de philosophie éthique, morale, politique et juridique, le tout saupoudré d’un peu de métaphysique et d’épistémologie ;
  • Dworkin prend les choses de très loin, de manière à ne pas être accusé de faire fond sur des postulats massifs et ininterrogés. Ainsi, il commence par se demander très longuement ce que cela veut dire qu’une vérité en morale, et ce que cela veut dire qu’une vérité tout court, etc. ;
  • la langue est très claire (notamment grâce au traducteur, John E. Jackson), et la démonstration l’est également. Non seulement Dworkin avance pas à pas, mais il multiplie les anticipations et les regards rétrospectifs, de manière à bien mettre en évidence la structure de son discours et à nous aider à nous repérer dans son gros livre (450 pages, moins les notes).

C’est pourquoi, avant d’exposer plus en détail la nature de mes critiques, et pour mitiger par avance leur apparente sévérité, je tiens à dire que la lecture de ce livre a été, malgré tout, une expérience très riche et très agréable. Même si les réserves que je vais formuler sont importantes, il y a tout de même beaucoup de choses à tirer de ce précieux ouvrage, non seulement en ce qui concerne les thèses les plus substantielles (j’adhère assez, par exemple, à la conception non « majoritaire » de la démocratie que propose Dworkin) mais aussi en ce qui concerne sa manière de raisonner, sa manière de prendre les problèmes, et en particulier ses thèses épistémologiques audacieuses. Si un grand livre de philosophie est un livre qui fait intensément penser, alors ce livre est un grand livre de philosophie.

Mais malgré le sérieux de l’entreprise, mon impression très positive au départ s’est infléchie à mesure que je progressais des questions métaphysiques aux questions éthiques et morales, puis des questions morales aux questions politiques. Il est vrai que dans ces derniers chapitres encore, il y a beaucoup d’analyses que je lis, certes, avec plaisir et intérêt – et même qui me convainquant, ou qui soutiennent certaines de mes conceptions intuitives préalables. Mais sur un grand nombre de points importants, les arguments me paraissaient de plus en plus faibles, et surtout de plus en plus instrumentalisés au service d’une justification philosophique boiteuse de l’ordre existant, à savoir la démocratie capitaliste libérale, avec certes une pincée de politique sociale, en vertu de quoi Dworkin est – il ne s’en cache pas – un penseur de centre gauche.

Deux raisons philosophiques principales expliquent pourquoi Dworkin en arrive inévitablement à défendre des positions qui sont, de fait, conservatrices (ou, disons, d’un progressisme très modéré). Premièrement, il place au centre de sa réflexion le concept de « dignité », qui se subdivise lui-même en deux versants : d’une part, l’authenticité, le fait de se poser ses propres normes éthiques, la responsabilité quant à ses choix ; d’autre part, le respect de soi-même et des autres. Je ne dis pas que ce concept de « dignité » est forcément dépourvu de pertinence dans le registre de la philosophie pratique : il rend lisible, et permet de justifier, un grand nombre de nos actions, de nos choix de vie et de nos indignations morales. Mais dès lors qu’on entend placer ce concept au cœur d’une philosophie politique normative, on est inévitablement rattrapé par son flou. Et ce flou autorise Dworkin à tordre son concept pour le faire servir à la justification de n’importe quoi.

D’autre part, et conformément à sa conception non critériologique des concepts, Dworkin refuse de partir de définitions a priori de concepts comme la dignité, la liberté, l’égalité, les droits de l’homme, etc. : il estime qu’il faut avoir de tels concepts une approche interprétative, et de dégager leur vrai sens à partir des pratiques dans lesquelles ils sont mobilisés. Concrètement, ce sont les usages qui sont faits du concept de « liberté » qui déterminent la vérité du concept de liberté, et ce sont les discours invoquant les « droits de l’homme » qui déterminent la vérité du concept de droits de l’homme. Naturellement, comme il y a des interprétations concurrentes de chacun de ces concepts qui s’affrontent, Dworkin ne peut pas se contenter naïvement d’entériner sans discussion un sens parmi d’autres – mais il essaie de trancher entre les différents sens possibles en développant des méthodes « intégratives », c’est-à-dire en essayant de concilier le sens du concept en question avec les sens des concepts associés (et, en particulier, le sens du concept de « dignité », auquel on revient toujours). L’idée de Dworkin est que tous les concepts pertinents en philosophie pratique forment un tout cohérent dans lequel chaque partie soutient et justifie harmonieusement toutes les autres parties, de sorte qu’on ne peut pas penser, par exemple, la liberté comme étant contradictoire avec l’égalité, ou le respect de soi comme étant contradictoire avec le respect des autres, etc. Il y a là-dedans quelque chose de théoriquement séduisant, mais en pratique cette approche revient à neutraliser par avance toute possibilité, pour un concept quelconque, de jouer un rôle disruptif et d’ébranler l’ensemble des autres croyances politiques.

Du coup, on n’est pas très surpris en fin de compte quand Dworkin finit par plaider pour une sorte de politique sociale-démocrate, pour un capitalisme libéral à visage humain, seul à même selon lui de respecter l’égale dignité des individus et le respect de la responsabilité quant à leur choix de vie, seul à même de garantir l’égalité, la liberté, et la démocratie, etc. Ce que je trouve un peu embarrassant (pour lui), c’est que contrairement à d’autres philosophes politiques, comme le dernier Rawls, Dworkin ne prétend pas que sa théorie ne soit valable que dans un certain contexte historique et dans un certain type de sociétés. Après tout, ce ne serait pas une tâche indigne, que de fournir à des gens déjà convaincus par les bienfaits du capitalisme à visage humain, ou de la démocratie libérale à coloration sociale-démocrate, des éléments de justification pour leur croyance. Mais Dworkin vise plus que cela : il assigne explicitement à ses thèses une portée universelle (le refus du relativisme et du scepticisme est l’un de ses credos). À la fin, il arrive donc à la conclusion que le système en vigueur à son époque dans son pays est, à quelques amendements près, le meilleur système possible (sans doute Dworkin préfère-t-il les pays capitalistes au système social plus développé que le sien, comme peut-être la Suède ou le Danemark, mais enfin ce n’est qu’une question de degré). On croirait lire Hegel voyant dans le royaume de Prusse, comme par hasard, l’incarnation de l’Esprit enfin réalisée.

Il y a un passage en particulier qui m’a fait prendre conscience des insuffisances du livre de Dworkin. À la fin du chapitre 14, l’auteur défend l’idée d’une « obligation politique », c’est-à-dire d’un devoir moral qu’auraient les gens d’obéir aux lois de leur pays. Je ne suis pas du tout rétif à cette idée, mais enfin toute théorie solide de l’obligation politique doit inclure des clauses d’exception, de manière à justifier la désobéissance civile à des lois particulièrement injustes, ainsi qu’à des régimes injustes comme l’Allemagne nazie ou l’URSS stalinienne. Or quel argument Dworkin tire-t-il de son chapeau ? Celui de la dignité, bien sûr. Le problème de l’Allemagne nazie, c’est qu’elle enfreint radicalement la dignité de ses membres, notamment en déniant à certains d’entre eux l’importance de leur vie. Et dans ces cas comme ceux-là, dit l’auteur, non seulement l’obligation politique n’a plus cours, mais c’est même la révolution qui est à l’ordre du jour (p. 350, p. 352) Or à ce stade, puisque la dignité inclut selon Dworkin la possibilité de mener sa vie selon un plan que l’on a choisi, j’interromps ma lecture et je me dis : le capitalisme aussi, porte gravement atteinte à la dignité de beaucoup de gens. Pas aussi radicalement que le nazisme, certes, mais enfin le capitalisme aussi a pour effet de réduire des gens à la pauvreté, de les faire vivre dans le stress et la peur du lendemain, et peut-être plus gravement encore de subordonner une grande partie de leur vie aux décisions d’autrui (leur hiérarchie professionnelle). La révolution serait-elle légitime, alors, pour renverser le capitalisme ?

Que nenni.

D’abord, la question de l’exploitation et du salariat reste totalement en-dehors du champ de vision de Dworkin. Cela pourrait être compréhensible si l’auteur se faisait le défenseur d’un libéralisme formaliste et froid, qui réduisît, à la mode libertarienne, le rapport salarial à un simple rapport contractuel parmi d’autres, établi entre des agents supposés libres. Dans ce cas, effectivement, il n’y aurait rien de particulier à dire sur le salariat. Mais Dworkin, et précisément dans ce chapitre 14, envisage de près le contenu moral des relations qui nous lient à nos parents, à nos enfants, à nos amant-e-s, à nos ami-e-s, à nos collègues… et il prend en compte l’existence possible, dans tous ces cadres, de rapports de force ou de pouvoir susceptibles de menacer la dignité des personnes. Pour Dworkin en tout cas, le fait d’entrer dans une relation contractuelle formellement libre n’est pas en soi une garantie de respect de la dignité, et n’annule pas le risque d’une dégradante hétéronomie. Ainsi, il défend l’idée que le fait d’être engagé dans une relation de couple asymétrique, où les deux membres manifestent à l’égard l’un-e de l’autre un degré de sollicitude très différent, constitue une atteinte à notre dignité (p. 341). Dans ces conditions, pourquoi ne rien dire sur le salariat et sur l’exploitation ? C’est tout de même quelque chose qui concerne des centaines de millions de gens rien que dans les démocraties libérales occidentales, et c’est quelque chose qui se trouve au cœur de la réflexion d’importants courants de pensée (le marxisme, notamment…). Lorsque des gens passent plusieurs dizaines d’heures par semaine, et plusieurs dizaines d’années de leur vie, sous le pouvoir hiérarchique d’individus qui ont en outre le pouvoir de leur octroyer leurs moyens de subsistance, on peut raisonnablement penser qu’il y a un problème en termes de « dignité ». À vrai dire, quand je me demande où se situent les principales atteintes à la « dignité » dans nos démocraties capitalistes contemporaines, c’est même d’abord à cela que je pense. Le salariat et l’exploitation menacent-ils notre dignité ? Il faut au moins poser la question – sans forcément préjuger de la réponse, d’ailleurs, qui dépendra de ce que l’on appelle « dignité ». Mais il faut au moins poser la question.

La question de la valeur morale de l’exploitation n’est pas exactement équivalente à celle de la valeur morale d’un État qui autorise, ou qui organise, l’exploitation. Un État dans lequel l’exploitation est légale, et même facilitée par une série de lois et de mesures, manque-t-il à son devoir de respect et de sollicitude égale envers chaque citoyen ? Porte-t-il gravement atteinte à la dignité des gens ? Dworkin bien sûr répond non, au prix d’une nouvelle astuce. Il faut distinguer, explique Dworkin, les atteintes à la dignité qui proviennent d’un manque réel de considération pour la dignité des individus de celles qui découlent d’une « interprétation erronée de ce qu’exigerait une sollicitude et un respect égaux pour tous » (p. 351), donc d’une erreur commise de bonne foi par un gouvernement qui aurait, de bonne foi, le souci de la dignité des gens. Mais cet argument, qui porte pourtant sur un point décisif, me paraît d’une naïveté décourageante. Bien entendu, Dworkin en a besoin pour affirmer qu’il est légitime de désobéir aux lois de l’Allemagne nazie mais pas de désobéir aux lois d’une démocratie libérale, même si celle-ci mène (à cause d’une « interprétation erronée » de ce qui est juste) une politique trop à droite (d’ailleurs je serais curieux de savoir ce que Dworkin penserait de Trump, et s’il lui aurait fait crédit de sa bonne foi, mais malheureusement il est mort en 2013). Mais autant cela peut avoir un sens d’appliquer, à l’échelle de l’action individuelle, le critère du respect de la dignité d’autrui, autant ce critère est dénué de tout fondement quand on parle de politiques publiques. Il me paraît évident que les politiques menées par un État sont bien mieux décrites par les théories fonctionnalistes de l’État que par les théories intentionnalistes ; que cela a très peu de sens d’attribuer une « bonne » ou une « mauvaise » foi à un État, ou même à un gouvernement, mais que cela en a un grand, en revanche, de considérer – par exemple – qu’un État représente, via des médiations non descriptibles en termes d’intentions conscientes, des intérêts… de classe. Et si l’on envisage les choses ainsi, naturellement, la distinction proposée par Dworkin s’effondre automatiquement.

Je mentionne cet exemple, mais en vérité il y en a d’autres – peut-être moins flagrants – où Dworkin recourt à une argumentation très friable, ou à des concepts flous sur le plan moral (la « dignité ») ou psychologique (l’intention, la bonne foi…), pour conclure que les choses sont finalement assez bien comme elles sont. La décision séduisante de ne définir aucun terme a priori, loin de garantir aux concepts maniés un dynamisme subversif, revient en réalité à les neutraliser l’un par l’autre et à les faire servir, à peu de choses près, à une apologie boiteuse de l’existant : Dworkin, hélas, réussit le miracle d’inventer une dialectique plan-plan.

Jugement politique et jugement de goût (2e partie)

Première partie

Après une pause un peu plus longue que d’habitude, je reviens à ce blog pour proposer une suite à mon précédent billet, et mettre fin à l’insoutenable suspense qui vous a accompagné durant les fêtes. Je ne vais pas résumer le billet précédent, donc je vous conseille fortement de le lire, si vous ne l’avez plus, ou pas encore, en tête. Celui-ci commence exactement là où le précédent s’arrête.

3.

Pour réussir à rendre un jugement politique (respectivement un jugement de goût) objectif, il faut donc, lorsque l’unanimité en la matière n’existe pas, construire cette unanimité par élimination des opinions aberrantes. Si tout le monde s’accorde à dire qu’une œuvre est, par exemple, antisexiste (ou géniale), sauf quelques personnes, ces quelques personnes ne nous gêneront pas si, par ailleurs, on peut montrer que leur jugement sur l’œuvre possède des caractéristiques qui lui confèrent une valeur moindre.

En 1760, Hume a écrit un opuscule, très clair et très stimulant (et très recommandable) intitulé Of the Standard of Taste, titre souvent traduit par La norme du goût. Hume part d’un paradoxe, qui ressemble au nôtre : d’un côté, en matière de jugements de goût, le sens commun incline au relativisme (« Des goûts et des couleurs on ne discute pas ») ; de l’autre, il nous paraît aller de soi que certains jugements de goût dissidents, qui s’écartent de la majorité, sont aberrants, erronés : il est évident pour tout le monde que John Milton est un plus grand poète que John Ogilby[1] ; et la personne qui soutient l’inverse ne mérite pas d’être prise au sérieux. La question est de savoir pourquoi on ne peut pas la prendre au sérieux.

On peut lire l’essai de Hume comme une tentative de construire une unanimité du jugement de goût en proposant des critères qui permettent d’identifier les jugements valables par rapport aux jugements aberrants – et je vais m’inspirer de ce qu’il dit sur les critères de validité des jugements de goût, pour réfléchir sur les critères de validité des jugements politiques.

4.

Très tôt dans son essai, Hume écrit :

Quand nous voulons faire une expérience de cette nature et éprouver la force d’une beauté ou d’une laideur, nous devons choisir avec soin le moment et le lieu appropriés et placer l’imagination dans la situation et la disposition qui conviennent. Une parfaite sérénité d’esprit, un recueillement de la pensée, une attention adaptée à l’objet : si l’une de ces circonstances vient à manquer, notre expérience sera faussée[2][.]

Ce qui permet de dégager un premier grand type de critères : les conditions matérielles de réception.

En ce qui concerne les jugements politiques, les choses sont assez semblables. On exclura légitimement comme non pertinentes les critiques politiques émanant de personnes qui ont reçu l’œuvre dans de mauvaises conditions matérielles. Le pire des cas de figure est celui où le/la critique n’a pas pris connaissance de l’œuvre : c’est le problème de la plupart des opposant-e-s à l’exposition controversée Exhibit B, dont j’ai abondamment parlé sur ce blog. À l’évidence, pour pouvoir dire si une telle œuvre était raciste ou non, il fallait l’avoir vue. Mais la bonne appréciation politique d’une œuvre peut être également compromise si on en prend connaissance en étant distrait-e et en pensant à autre chose, on si on en prend connaissance en étant fatigué-e. Si je vais voir un film et que je n’arrive pas à me concentrer sur l’histoire, ou si je m’endors au milieu, mon jugement est disqualifié.

Ce critère, au fond, sert simplement à vérifier que lorsqu’on dit : « L’œuvre X est raciste/sexiste/anticapitaliste, etc. », tout le monde parle bien du même objet. Si je me suis endormi à la moitié de Gravity, mon jugement politique ne sera pas un jugement sur un Gravity mais sur la première moitié de Gravity. Dans le cas d’un film dont le sens serait infléchi par un coup de théâtre à la toute fin, ça peut être embêtant.

(Dans son opuscule, Hume envisage aussi le cas où le jugement de goût serait invalidé par un défaut temporaire des organes de la sensation :

Un homme qui a la fièvre ne soutiendra pas que son palais est capable de décider des saveurs, celui qui souffre d’une jaunisse ne prétendra pas porter un jugement sur les couleurs[3].

Mais le parallèle avec le jugement politique est plus difficile à faire.)

Notez qu’il me semble plus facile d’identifier des critères pour délégitimer un jugement politique, que pour en légitimer un. Je peux citer, comme je viens de le faire, des exemples de conditions de réception matériellement défaillantes ; je ne suis pas sûr d’être très au clair quant aux conditions de réception optimales. En particulier, je me pose la question suivante : est-on plus qualifié-e pour parler d’un film si on l’a vu une fois, ou si on l’a vu douze fois ? En l’ayant vu douze fois, il y a moins de choses qui nous ont échappé. Mais l’idée que l’on se fait du film, dès lors, n’est plus authentique, en un certain sens de ce mot, puisqu’elle est fondée sur une réception réitérée, différente à ce titre, non seulement de la réception de la grande majorité des spectateur/trice-s (qui n’ont vu le film qu’une fois), mais aussi, probablement (mais cela pourrait se discuter) de la réception programmée par le film lui-même, et pensée par le/la réalisateur/trice. (Je veux dire par là que le/la réalisateur/trice fait son film d’abord et avant tout pour un public qui ne verra le film qu’une seule fois). Je reconnais, donc, cette incertitude, mais je ne pense pas du tout qu’elle soit susceptible de porter préjudice au fond de mon propos.

5.

Une seconde catégorie de critères concerne la compétence des récepteur/trice-s. Hume envisage cette question sous l’angle de la capacité à faire des comparaisons : plus on connaît d’œuvres, plus ou est exigeant-e, et moins on est susceptible de se laisser abuser par les charmes d’une œuvre mauvaise. Hume écrit :

Il est impossible de continuer à pratiquer la contemplation des différents ordres de beauté sans être fréquemment obligé de faire des comparaisons entre les diverses espèces et les divers degrés d’excellence et de juger de leurs rapports. […] La ballade la plus vulgaire n’est pas entièrement dénuée d’harmonie ou de naturel mais seule une personne accoutumée à des beautés supérieures déclarera que ses parties sont rudes ou que le récit est sans intérêt[4].

Ce rôle de la comparaison est effectivement crucial dans l’établissement du jugement de goût (qui est toujours relatif) ; il l’est nettement moins l’établissement du jugement politique. Mais la question de la compétence peut avoir son importance à d’autres niveaux : il semble qu’on puisse légitimement juger invalides les critiques fondées sur un contresens, à condition que ce contresens soit dû à un manque de maîtrise des codes de l’art concerné, ou à l’ignorance d’une référence normalement connue. Par exemple, il peut y avoir dans un film de éléments qui ont l’air X-phobes*, mais qui cessent au moins partiellement d’apparaître comme tels si on les identifie comme des citations (éventuellement ironiques ou parodiques) d’un discours préexistant. Si ces références sont évidentes, et qu’un-e spectateur/trice sous-cultivé-e ne les perçoive pas, il/elle est disqualifié-e pour donner son avis.

Là encore, il y a une incertitude : on peut tirer ce critère de la « compétence » dans deux sens opposés – un sens, disons, démocratique, et un sens aristocratique. Selon la conception « aristocratique », le/la récepteur/trice idéal-e est celui ou celle qui connaît tout, qui identifie toutes les références, même planquées ; la légitimité de la critique des autres récepteur/trice-s est d’autant plus faible qu’ils/elles manquent de compétences culturelles. Selon la conception « démocratique », le/la récepteur/trice idéal-e est le/la récepteur/trice moyen-ne, normalement cultivé-e mais pas trop, et le/la récepteur/trice sur-compétent-e se retrouve alors paradoxalement dans une position sub-optimale. Bien sûr, dans ce cas, il faudrait pouvoir définir avec un peu plus de précision ce que l’on entend par « récepteur/trice moyen-ne ». Mais l’absence de certitude sur cette question ne ruine pas théoriquement la possibilité que la conception « démocratique » soit la bonne. Dans le cadre de ce billet, je renonce à choisir entre les deux conceptions : l’une et l’autre, en tout cas, impliquent que le jugement critique du/de la spectateur/trice sous-cultivé-e soit non valable.

6.

Une troisième catégorie de critères concerne les conditions psychologiques de réception. Hume formule une longue critique contre ce qu’il appelle les « préjugés » :

Un critique d’une époque différente ou d’une nation différente qui examinerait ce discours doit avoir toutes ces circonstances devant les yeux et il doit se placer dans la même situation que l’auditoire afin de juger correctement le discours. De la même manière, quand une œuvre s’adresse au public, malgré mon amitié ou mon inimitié pour l’auteur, je dois faire abstraction de cette situation et me considérer comme un homme en général en oubliant, si possible, mon existence et ma situation particulières[5].

En donnant au propos de Hume une portée un peu plus générale, on pourra dire qu’il faut, pour porter un jugement de goût acceptable, se mettre dans de bonnes dispositions d’esprit. Notamment, cela implique deux choses :

Premièrement, et c’est un point que Hume souligne, cela implique de se transporter mentalement dans les conditions originelles de l’œuvre. C’est-à-dire que l’on ne jugera pas valablement un film d’il y a cinquante ans en vertu de critères actuels. Une amie prend souvent l’exemple de La Cage aux folles : c’est un film qui semble horriblement homophobe aujourd’hui, mais au moment de sa sortie (1978), ce n’était déjà pas rien d’avoir un film qui supposait, pour être compris, que l’on accepte la possibilité d’une relation affective entre deux hommes – et qui, à cet égard, pouvait être à l’époque progressiste. Juger La Cage aux folles en fonction de nos critères actuels, c’est manquer sa cible ; c’est parler d’un objet décontextualisé, ou éventuellement recontextualisé, mais pas d’un film sorti à une certaine époque dans un certain contexte.

Deuxièmement, cela implique de se dégager autant que faire se peut de tous les biais qui vont orienter notre réception dans un sens ou dans l’autre. Il faut faire abstraction, dit Hume, de son éventuelle amitié pour l’auteur d’une œuvre pour bien la juger ; pour bien juger politiquement une œuvre, il faut l’aborder avec le moins de prévention possible, ou avec le moins de préjugés favorables possible. Et c’est sans doute à ce titre-là qu’on peut éliminer comme aberrant le procès en transphobie de X-Men par Paul Rigouste : visiblement, Paul Rigouste, comme d’autres contributeur/trice-s de LCEP, a une approche paranoïaque des films qu’il voit. D’un certain côté, ça peut se comprendre : il y a quelque chose de gratifiant à dire du mal des films (à montrer qu’on est intelligent-e et qu’on ne se laisse pas avoir par le film, à gagner des points de gauchisme en faisant la preuve de sa radicalité critique…). Dans les milieux militants, il y a une prime sociale à la sévérité critique. Et puis il faut bien justifier le projet du site, qui n’aurait plus guère de raison d’être si trop de films étaient jugés politiquement acceptables. Tout cela fait que quand Paul Rigouste va voir le dernier X-Men, il entre dans la salle avec un biais en défaveur du film.

En ce qui concerne les jugements de fait, avoir des biais, ce n’est pas si grave : la discussion rationnelle est là pour les lever. Il y a une vérité extérieure au discours qui sert de critère de validité à ce discours, et la discussion rationnelle permet d’y parvenir. Dans le cas des jugements de fait, on peut même envisager les désaccords comme des oppositions entre des biais opposés, qui sont susceptibles de se résorber. Mais dans le cas du jugement de goût, ou du jugement politique, la présence d’un biais est désastreuse. Car ce biais, il n’y a rien pour le rattraper ! Aucune vérité extérieure au discours ne peut venir servir d’instance de contrôle objective. De même, si je décide par avance que je vais détester le roman que je vais lire, un-e ami-e ne pourra me convaincre rationnellement de l’aimer. Le biais, dans ce genre de cas, est nécessairement absolu.

Il y a plein de sujets à propos desquels la vigilance critique, voire la paranoïa, ne sont donc pas si graves que cela : on peut toujours être trop suspicieux, et changer d’avis plus tard. À propos d’un jugement de goût, ou d’un jugement politique, il n’y a pas moyen de « changer d’avis plus tard ». Et la paranoïa critique dont les contributeur/trice-s de LCEP ont tendance à faire preuve mine gravement, selon moi, la légitimité de leur propos.

7.

Voilà donc trois critères de légitimité du jugement politique : il doit être fondé sur une expérience de l’œuvre dans de bonnes conditions matérielles et psychologiques de réception, et tenu par une personne compétente (au moins normalement cultivée). Je n’ai pas caché, chemin faisant, qu’il y avait encore des points à éclaircir, et je suis tout à fait ouvert à l’idée que, peut-être, on pourrait présenter et organiser ces trois critères autrement que je ne l’ai fait. Rien de tout cela ne compromet l’esprit de ma démarche.

Une fois qu’on a appliqué ces critères, a-t-on nécessairement résorbé les désaccords ? Non, bien sûr – et Hume, à propos du jugement de goût, ne prétend pas le contraire :

Mais, en dépit de tous nos efforts pour fixer une norme du goût et réconcilier les opinions discordantes des hommes, il reste encore deux sources de variation qui, en vérité, ne sont pas suffisantes pour confondre toutes les limites de la beauté et de la laideur mais qui peuvent souvent servir à produire une différence de degrés dans notre approbation ou notre blâme. D’une part la différence d’humeur des individus, d’autre part les mœurs et les opinions propres à une époque ou une nation[6].

On peut, et dans une certaine mesure on doit, s’en tenir là : il y a, dans le jugement de goût et dans le jugement politique, une variété irréconciliable de points de vue. Mais pourquoi, après tout, ne pas essayer d’aller tout de même un petit peu plus loin ? Et puisque l’on en est à accorder des privilèges aux points de vue des gens « compétents », pourquoi ne pas décider (mais ce ne serait alors pas autre chose qu’une décision politique volontariste) d’en accorder un aux… dominé-e-s ? (C’est-à-dire que, par exemple, et toutes choses égales par ailleurs, on accorderait plus de poids à la parole des femmes pour estimer si un film est sexiste ou non.)

C’est une position qui pourra surprendre ceux et celles qui ont lu mes billets sur l’épistémologie de la domination (ici, ici, ), où je critiquais l’idée d’une supériorité épistémologique des dominé-e-s. Mais précisément, s’il y a supériorité ici, elle n’est pas vraiment épistémologique : il ne s’agit pas d’arriver à une vérité, à un savoir, mais de produire un discours à partir de son ressenti. À partir du moment où des discours également valables selon les critères énumérés ci-dessus se retrouvent en concurrence, qu’est-ce qui nous empêche de décider que certains ressentis sont plus valables que d’autres ?

C’est une question vaste, dans laquelle je ne vais pas rentrer trop avant ici. Je signale simplement que même si l’on accepte cette idée, alors autant la position du/de la dominé-e se retrouve privilégiée, autant celle de l’allié-e se retrouve ruinée. (C’est fâcheux pour Paul Rigouste, qui est un homme, et qui écrit énormément sur le sexisme des films.) Si un homme décide de traquer le sexisme dans les films, il part nécessairement avec un biais insurmontable, et se condamne à ne pouvoir que confirmer ses préjugés de départ, ce qui est tout à fait vain. [Edit 17/01/14 : précisions sur ce dernier point ici]


[1] Je n’ai jamais lu ni l’un ni l’autre, je n’avais jamais entendu parler du second avant d’avoir lu ce texte de Hume, et je laisse à ce dernier la responsabilité de ses exemples (celui-ci se trouve à la page 9 de cette version du texte, traduite par Philippe Folliot : c’est à partir de cette édition électronique que je donnerai mes références désormais). Si l’on veut, on peut adapter l’argument : on accorde peu de valeur à quelqu’un qui penserait que Le Parrain de Coppola, ou L’Aurore de Murnau, ou Sunset Boulevard de Billy Wilder, sont de moins bons films que Le Serment de Tobrouk, de Bernard-Henri Lévy, ou Le Baltringue, de Cyril Sebas, avec Vincent Lagaf’…

[2] P. 10.

[3] P. 11. Je ne savais pas que la jaunisse altérait la vision des couleurs. En fait, il y a un jeu de mots : le mot jaundice, en anglais, signifie à la fois « jaunisse » et « prévention ».

[4] P. 15.

[5] P. 16.

[6] P. 20.

Jocelyn Maclure, Charles Taylor : Laïcité et liberté de conscience

Cela fait deux semaines que je n’ai rien publié sur ce blog – ce n’est, dans l’absolu, pas énorme, mais c’est une durée plus longue que toutes celles que je m’étais accordées jusqu’à présent entre deux billets. Il n’y a pas de mystère : si j’ai été moins actif ces derniers temps, c’est essentiellement parce que j’ai eu, par ailleurs, pas mal de boulot. D’autre part je prépare une série de billets qui, si tout se passe, devraient voir le jour prochainement, et que je tiens à soigner. Certains de mes billets récents, comme le dernier, ou même comme celui-là, étaient un peu alimentaires : pas forcément inutiles ni absurdes, mais théoriquement moins ambitieux que, par exemple, ça, ou ça, ou ça. Là, je prépare quelque chose d’un peu plus costaud. En attendant, et pour ne pas laisser le blog à l’abandon, j’y publie ce texte que j’avais écris il y a quelques mois, en septembre 2013, et déjà posté sur mon Facebook à l’époque.

Il s’agit d’une critique de livre : j’inaugure le genre, sur ce blog. Mais il n’est pas obligatoire d’avoir lu le bouquin pour comprendre ce que j’en dis : le livre lui-même, au fond, n’est que le déclencheur contingent de réflexions de ma part qui, à mon avis, peuvent valoir pour elles-mêmes.

L’intérêt de ce texte consiste non seulement dans ce que je dis sur la question de la laïcité (un sujet qui m’intéresse, et dont je n’ai pas encore parlé sur le blog), mais aussi dans la forme générale qu’il adopte, et dans le type de pensée qu’il déploie. Je le vois vraiment comme une tentative de ma part (réussie j’espère, mais ce n’est pas à moi de le dire) de remettre de la dialectique là où il n’y en avait pas – après avoir buté sur les limites de la pensée non dialectique des auteurs du livre. Voilà qui peut, à mon avis, se méditer.

*

Je viens de lire Laïcité et liberté de conscience, publié en 2010 par Jocelyn Maclure et Charles Taylor – ce dernier étant un philosophe canadien très connu, militant du Nouveau Parti démocratique (le parti social-démocrate canadien) et auteur d’ouvrages majeurs en philosophie politique. Il a participé en 2007 à la « Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles », et ce livre est partiellement issu de ses travaux de l’époque.

Cet essai, assez bref, est très stimulant. La première partie, intitulée « Penser la laïcité », n’est pas la meilleure : elle consiste en une tentative de définition, puis de typologie, de la laïcité, et s’achève par une défense vigoureuse et intelligente d’une conception « libérale-pluraliste » de la laïcité, contre les conceptions « républicaines » de la laïcité représentées notamment par Henri Peña-Ruiz. Autrement, et hormis une tentative d’élévation conceptuelle dans les tout premiers chapitres, on n’a pas forcément l’impression d’en retirer de grandes idées bouleversantes : à beaucoup d’endroits, les auteurs disent simplement mieux que d’autres ce qui constitue déjà, pour moi, quelques évidences qu’il est, certes, toujours salutaire de rappeler – le chapitre 4, par exemple, est consacré à démontrer les limites de la théorie selon laquelle la laïcité reposerait sur une séparation entre « sphère publique » et « sphère privée ». Un autre passage argumente en faveur de l’idée selon laquelle le port de signes religieux par des fonctionnaires n’est pas un problème. Mais tout cela, beaucoup de militant-e-s le disent déjà, d’une façon peut-être un peu plus lâche conceptuellement. Jusqu’ici, rien de révolutionnaire.

La deuxième partie, en revanche, intitulée « Penser la liberté de conscience », vise essentiellement à établir et défendre une théorie cohérente de l’ « accommodement raisonnable » en englobant de façon très convaincante les questions relevant de la laïcité au sens strict, c’est-à-dire du rapport entre le pouvoir politique et la religion, dans le problème plus général de la liberté de conscience (pas forcément en matière religieuse). C’est ainsi que pour les auteurs, dans le cadre d’un État démocratique moderne respectant le pluralisme quant aux conceptions du monde des citoyen-ne-s, il n’est pas légitime d’attribuer aux convictions religieuses un autre statut qu’aux convictions métaphysiques séculières – les unes et les autres relevant toutes du champ des « convictions fondamentales », ou des « engagements fondamentaux ». A la lumière de cette redéfinition, les auteurs s’attachent à montrer à quelles conditions il peut être fait entorse à l’universalité de la loi pour protéger la liberté de conscience et l’égale prise en considération des minorités, notamment religieuses mais pas seulement.

Après un début un peu poussif, donc, on a franchement plaisir à voir se résoudre, progressivement, la plupart des questions laissées en suspens, et le livre progresser vers une conception de plus en plus ferme et de plus en plus cohérente de l’ « accommodement raisonnable ». Il reste que, comme pour beaucoup de bons livres, les qualités de celui-ci tiennent au moins autant à ce qu’il pose des jalons solides pour penser plus loin que ce qu’il ne le fait, qu’à ce qu’il apporterait une réponse intégralement satisfaisante aux questions qu’il pose. Deux points, en particulier, appellent des développements ultérieurs.

D’abord, l’ « accommodement raisonnable » est justifié au nom de l’égale considération due à tou-te-s les citoyen-ne-s, et à la neutralité nécessaire de l’état vis-à-vis de la pluralité des choix de vie et des options philosophiques. Du coup, il est toujours considéré comme un mécanisme correctif, visant à annuler ce que les lois générales et universelles peuvent avoir d’injustement discriminatoire à l’égard des minorités. Mais les deux auteurs sont apparemment aveugles au fait que les mécanismes même d’accommodement raisonnable sont souvent susceptible de fournir auxdites minorités des privilèges exorbitants par rapport aux autres personnes, ce qui met précisément à mal le principe de neutralité de l’Etat vis-à-vis des choix philosophiques des individus. Le livre aborde, par exemple, la question de l’objection de conscience en matière militaire : celle-ci serait justifiée comme mesure d’accommodement raisonnable si et seulement si l’objecteur de conscience peut alléguer sincèrement qu’aller faire la guerre lui causerait un tort moral excessif en heurtant ses convictions profondes – que celles-ci soient assises sur un socle religieux ou séculier. Mais dans ce cas précis, l’objection de conscience ne permet pas seulement au pacifiste de ne pas trahir sa conscience ; elle a aussi pour conséquence annexe, et non négligeable, de lui éviter d’aller se faire tuer à la guerre, de demeurer avec sa famille, etc. La discrimination envers les non-pacifistes est évidente. Pour prendre un autre exemple moins dramatique, les auteurs proposent que l’on considère différemment le juif pratiquant qui veut finir le travail à 16h le vendredi pour rentrer chez lui avant le coucher du soleil de manière à respecter le jour du sabbat, et le travailleur qui veut finir le travail à 16h pour simplement éviter la congestion routière. C’est ne pas voir, ou passer sous silence, que cette proposition a pour conséquence corollaire de permettre aussi au juif pratiquant d’éviter la congestion routière. Que devient, dans ces conditions, l’exigence d’égale considération et de non-discrimination ? Ce genre de raisonnements peut fournir des éléments pour une critique universaliste, voire libérale, de la pratique des « accommodements », et il est regrettable que les auteurs n’en fassent pas état, alors même que certains de leurs exemples s’y prêtent largement. Leur mérite indéniable, toutefois, est de proposer des outils conceptuels permettant de rendre compte efficacement de cette même contradiction, et de penser, au fond, les limites de leur propre position.

Plus étonnant, peut-être, est le refus des auteurs de s’intéresser à une solution évidente et élégante, d’inspiration libérale là encore, aux problèmes que les accommodements raisonnables sont censés venir régler. Si une certaine norme entraîne une discrimination indirecte justifiant le recours à des accommodements… pourquoi ne pas remettre en question ladite norme ? L’impossibilité de respecter simultanément les droits des minorités et la norme établie pourrait, devrait parfois, servir d’aiguillon intellectuel pour penser la remise en cause de la norme admise, ou pour penser une organisation sociale tout à la fois universaliste et respectueuse de la liberté de chacun-e. Y aurait-il besoin de réfléchir à un « accommodement raisonnable » permettant à des élèves juifs ou musulmanes de se couvrir la tête en classe, si le port de couvre-chefs en classe n’était pas interdit ? (C’est apparemment en ces termes que la question s’est posée au Québec.) Y aurait-il besoin de prendre des mesures dérogatoires en faveur des policiers et militaires musulmans si le port de la barbe parmi les forces de l’ordre ou dans l’armée était autorisé ? Y aurait-il besoin de prévoir des repas spéciaux pour les juif-ve-s, les musulman-e-s ou les végétarien-ne-s dans les cantines, les avions, les hôpitaux et les prisons si l’on partait du principe qu’un choix minimal dans les menus proposés est un droit pour tou-te-s – et que le coût supplémentaire ainsi engendré pour la collectivité peut être justifié pour des raisons, précisément, de garantie des libertés individuelles ? Les auteurs évoquent brièvement cette piste, mais bottent rapidement en touche en insistant sur le caractère parfois incontournable de la pratique des accommodements : ainsi, il est impensable qu’une société se passe d’un calendrier civil à peu près unifié, qui ne peut pas ne pas, d’une façon ou d’une autre, se fonder sur les habitudes de la majorité de la population et donc en particulier sur des normes d’origine religieuse, telles que le repos dominical, éventuellement discriminatoires pour les personnes pratiquant une religion minoritaire. C’est vrai. On concèdera aussi que, pour des raisons de protection des droits sociaux, on interdira et/ou limitera juridiquement le travail dominical, et qu’il ne serait pas socialement souhaitable de libéraliser les pratiques en la matière. Mais rien ne dit que ces contre-exemples judicieusement choisis soient significatifs ni majoritaires, et qu’ils ne fassent pas écran aux situations, plus nombreuses, où des propositions d’inspiration universalistes et libérales pourraient faire l’affaire – tout en échappant aux écueils déjà signalés de la pratique de l’accommodement.

En fait, c’est peut-être là qu’on se heurte aux limites politiques d’un auteur comme Charles Taylor (je ne dis rien de son co-auteur, dont je ne connais pas les éventuelles affiliations partisanes). Sans être un intellectuel organique, Taylor est un militant social-démocrate, membre d’un parti de gouvernement ou quasi – et qui, à ce titre, manque d’audace. Le livre, du reste, est en grande partie une amplification-développement des positions soutenues dans le cadre des travaux de la commission Bouchard-Taylor de 2007, commission tout ce qu’il y a de plus officielle. Taylor et Maclure privilégient, pour résoudre les problèmes qu’ils mettent au jour, des solutions fondées sur des aménagements marginaux, des « accommodements » (quitte à taire les problèmes que ceux-ci soulèvent dans le cadre même de leur système théorique), aux solutions plus universalistes, plus radicales et, insistons-y, plus libérales, reposant sur une remise en cause des cadres théoriques et, concomitamment, des institutions sociales et politiques dans leurs grands principes de fonctionnement. Pour le dire brutalement : une fois qu’on a posé comme base, au nom de principes incontestablement progressistes comme la liberté de conscience et l’égale considération des options philosophiques et religieuses, le droit pour un pacifiste de ne pas aller faire la guerre, il est impossible de s’arrêter en chemin et de ne pas tirer de cette position la seule conclusion cohérente avec les principes énoncés, à savoir l’abolition de la guerre – pour tou-te-s. Une société post-capitaliste débarrassée de l’exploitation, des oppressions et des guerres est seule compatible avec une conception authentiquement libérale, progressiste et pluraliste de la laïcité – le travail ou le repos dominical cesserait probablement d’y être un problème, tant notre conception du temps, du loisir, du travail même y serait différente, et tant les cartes y seraient, à tous égards, rebattues. La question des menus en prison ne s’y poserait probablement pas non plus, tant les conditions de détention, pour autant qu’il y ait encore des prisons, y seraient différentes. Je ne dis pas que tout y serait parfait et que tous les problèmes, que toutes les difficultés, s’y règleraient comme par magie. Mais tendanciellement, les apories contenues dans les solutions proposées par Taylor et Maclure ne commencent à trouver de solutions vraiment satisfaisantes que dans une société où les contraintes exercées sur les individus seraient minimales, et minimales pour tou-te-s – c’est-à-dire une société communiste. En attendant, il est révélateur que des philosophes arrivent à défendre, au nom d’une conception explicitement libérale et universaliste de la laïcité, un système au fond peu compatible avec l’universalisme, et, si l’on y songe un peu, qui pose des problèmes éthiques sérieux. Tout cela, au fond, ne dépend que des limites que l’on décide, a priori, d’assigner à sa réflexion.

Jean-Marie Brohm et la dialectique

Dans Les shootés du stade, à la fin de son introduction, le sociologue du sport Jean-Marie Brohm écrit :

Je me suis efforcé de respecter deux règles fondamentales de la méthode dialectique :

a) Prendre le sport comme un tout, sans le saucissonner en tranches, parce que le sport est une « totalité concrète » ou un « fait social total » où toutes les facettes renvoyent (sic) les unes aux autres. Il est impossible, comme le font bon nombre d’observateurs, de dissocier les « bons côtés du sport » de ses « mauvais côtés », le sport amateur du sport professionnel, le haut niveau du bas niveau, la compétition intensive de ses effets mortifères, l’exacerbation des enjeux de leurs conséquences violentes. Bref, il est impossible de dissocier le « sport pur » de ses « excès », « déviations » et « dénaturations ». […] C’est donc la totalité du sport qui doit être soumise à l’examen critique[1].

Et je passe le petit b, car il ne m’intéresse pas pour le moment. Ce paragraphe est d’une très grande faiblesse théorique, et/ou d’une très grande mauvaise foi. La démarche « dialectique » de Brohm consiste en fait à accorder un privilège excessif à l’esprit de synthèse par rapport à l’esprit d’analyse. Or si la synthèse est un moment de la pensée, l’analyse en est un également – logiquement antérieur.

On ne saurait valablement définir la « méthode dialectique » comme une pensée du tout. Toute réflexion, dialectique ou non, prend pour objet un « tout », car chaque objet est simultanément le tout de ses propres parties, et une partie de touts plus grands. Le sport amateur forme un tout lui-même divisible : il inclut le football amateur, le tennis amateur, le basket amateur… et le football amateur de division d’honneur, le football amateur de C.F.A., le football amateur féminin, le football amateur junior… Et le « sport » est une partie d’un complexe que l’on peut appeler « jeu », d’un autre complexe que l’on peut appeler « spectacle », d’un autre encore que l’on peut appeler « culture ». Et d’autres encore, sur lesquels Jean-Marie Brohm s’étend plus largement (il entend, dans son petit b, « replacer le sport dans son cadre socio-économique concret et son contexte historique précis[2] ») : le sport est aussi une partie, par exemple, de l’économie capitaliste.

La pensée dialectique n’est donc pas une pensée du tout, mais une pensée du rapport entre le tout et les parties. Comme l’écrit Pascal, ce grand dialecticien que Brohm cite d’ailleurs (sans le suivre)[3] : « Je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout ; non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties. » Effectivement ; on ne saurait comprendre le sport (la partie) sans le « replacer […] dans […] son contexte historique précis » (le tout), et on ne saurait comprendre le football amateur (la partie) sans le replacer dans le complexe « football », ou « sport » (le tout). Mais on ne saurait valablement parler du sport sans avoir examiné particulièrement les parties ; du coup, « prendre le sport comme un tout » n’est pas du tout contradictoire avec le fait de « le saucissonner en tranches » ou d’en « dissocier » les bons et les mauvais côtés. Au contraire ! Il faut avoir procédé à l’analyse pour passer à l’étape suivante, celle de la synthèse. En présentant comme une antinomie irréductible ce qui ne sont que les deux moments nécessaires d’une même pensée, Brohm tombe dans une naïve conception pré-dialectique, en dépit de tout ce lexique censé faire hégélien, marxiste, de gauche (totalité concrète, fait social total)[4].

D’autre part, une synthèse bien comprise se construit, mais ne se pose pas. Considérer d’emblée qu’il faut « prendre le sport comme un tout », c’est une pétition de principe : les railleries de Brohm ne visent qu’à masquer le fait qu’il n’a pas prouvé la nécessité du passage à la synthèse. Pourquoi est-il impossible de dissocier le sport pro et le sport amateur, le haut et le bas niveaux, la compétition et ses effets ? Il y a sans doute des raisons, car on n’a jamais une vue complète d’une chose en la séparant des phénomènes qui l’englobent, mais ces raisons, quelles sont-elles ? Voilà ce qu’il aurait dû s’attacher à montrer.

La nécessité interne du passage à la synthèse n’abolit naturellement pas les conclusions auxquelles on avait pu arriver au stade de l’analyse. Elle les relativise, elle les resitue, elle les replace, mais elle ne les abolit pas. Même acquis le fait qu’il faille « prendre le sport comme un tout », reste que les différentes parties de ce tout continuent à jouir d’un irréductible degré d’autonomie – et l’on devrait, à chaque nouveau problème qui se pose, réfléchir à la question de savoir par où et comment le prendre : le prendre au niveau de la partie avant de voir qu’on acquiert une vue plus totale en le prenant au niveau du tout, ou le prendre au niveau du tout avant de voir qu’on acquiert une vue plus totale en le prenant au niveau de la partie. Mais dans tous les cas, on ne peut pas s’affranchir, sous le prétexte d’une conception synthétique du réel, d’un retour permanent à une conception qui soit aussi analytique.

En abandonnant la pensée dialectique, et en refusant catégoriquement d’envisager le sport dans la multiplicité réelle de ses aspects, Brohm abandonne aussi, naturellement, la pensée de la contradiction. Il nie que le sport puisse être une culture, puisqu’il participe de l’abrutissement des masses ; il conteste qu’il puisse être un jeu, puisqu’il est facteur de haine. Mais quelle étrange synthèse, que celle qui se présente sous la forme d’un ni… ni…, et non sous celle d’un et… et… ! La vérité, c’est que le sport est tout cela à la fois : un facteur d’abrutissement et de haine, un jeu et une culture, un spectacle et un loisir, et bien d’autres choses encore. Il est d’ailleurs piquant de voir que notre auteur cite en bonne part des auteurs qui, eux, s’attachent à tenir ensemble les contraires (ou, au moins, à en prendre acte). Brohm reproduit ainsi un passage d’Adorno :

Le sport est ambigu. Il peut d’une part être anti-barbare, anti-sadique grâce au fair-play, à l’esprit chevaleresque, aux égards pour le plus faible. Il peut d’autre part, par certains de ses aspects et de ses comportements, favoriser la brutalité, le sadisme, surtout chez des personnes qui ne s’imposent pas elles-mêmes l’effort et la discipline sportive et se contentent de regarder. Ce sont ceux qui hurlent sur le terrain de sport[5].

Mais Brohm oublie toute la première partie de la citation, et tire intégralement le propos d’Adorno vers une critique générale du sport, vers une condamnation unilatérale, en refusant de voir à quel point le passage même qu’il reproduit est gênant, à certains égards, pour ses propres théories ! À force de ne pas voir le caractère contradictoire du sport, du sport professionnel, et du football en particulier, Brohm s’interdit de comprendre quoi que ce soit, par exemple, à la psychologie des supporters. Puisque le foot n’est ni un jeu, ni une culture, ni une activité digne de ce nom, comment se fait-il que tant de gens regardent la Coupe du Monde ? Il faut nécessairement que ce soient des abruti-e-s : le « bon peuple sportif », « complètement crétinisé » (p. 51) forme des « masses d’ahuris et de nigauds » (p. 119), des « meutes hurlantes » (p. 66) et des « hordes braillantes » (p. 108) de « shootés du stade », donc, au « cerveau reptilien » (p. 39). Ces éructations injurieuses s’expliquent sans doute par un certain manque de finesse psychologique de leur auteur, et peut-être aussi, on ne peut pas du tout l’exclure, par un mépris de classe latent ; mais il me paraît, en l’occurrence, tout aussi exact et plus intéressant de voir à quel point elles prennent racine dans certains présupposés théoriques : ce déchaînement verbal tout à fait hors de propos, et par ailleurs parfaitement injuste, est la réponse compensatoire à une incompréhension foncière de ce qui se passe sur un terrain de foot et sur des gradins de stade, incompréhension elle-même causée par le renoncement à toute approche dialectique du problème en jeu.

Dans la démarche argumentative de Brohm, tout cela n’est pas un point de détail. Sociologue critique du sport, Brohm s’en prend violemment à tou-te-s ceux/celles qui tentent de séparer le bon grain de l’ivraie, d’en « dissocier », comme il dit, les bons et les mauvais côtés. Sa première cible, c’est la gauche, qui est d’accord avec lui sur pas mal de constats (le foot est pourri par la corruption, le fric qui s’y brasse est indécent, les événements internationaux sont propices à l’exaspération des passions chauvines), mais qui tente tout de même de trouver un noyau sain à extraire d’une gangue malade. Après l’introduction, la suite du livre est une énumération par ailleurs instructive de faits révoltants que tout le monde, je suppose, condamne à gauche. Ce qui fait l’originalité et la radicalité de la thèse de Brohm n’est pas dans les chapitres ultérieurs ; elle est presque tout entière contenue dans les quelques lignes dont je suis parti. Mais les présupposés méthodologiques de l’auteur, dont on a vu à quelles impasses ils mènent, sont assénés d’un ton péremptoire, à grands renforts de mots qui font peur et qui font chic, au lieu d’être sérieusement justifiés. En cette période de Coupe du Monde, il ne m’a pas paru inutile de partir de ce livre (qu’un ami m’a obligeamment prêté) pour réfléchir à voix haute sur ce qu’est la dialectique, et surtout sur ce qu’elle n’est pas.


[1] Les shootés du stade, éd. Paris-Méditerranée, 1998, p. 17.

[2] P. 18.

[3] Id.

[4] Un ami me signale que la notion de « fait social total » vient de Mauss.

[5] Cité p. 66. La citation d’Adorno est tirée de Modèles critiques, Paris, Payot, 1984, p. 211.