laïcité

Liberté religieuse et financement des lieux de culte

Il y a clairement un problème au niveau du financement des cultes en France. Les catholiques jouissent d’un privilège exorbitant : ils ne sont pas propriétaires de la plupart de leurs églises ; l’Etat ou les communes en assurent l’entretien et les mettent gracieusement à leur disposition, alors que les protestant-e-s, les juif/ve-s, les musulman-e-s, doivent payer eux/elles-mêmes l’entretien de leurs lieux de culte. Une solution juste à ce problème serait que l’Etat et les communes fassent payer un loyer aux associations diocésaines qui veulent utiliser les églises.

Cependant, cette solution partielle ne règlerait pas le problème du nombre absolu de lieux de culte disponibles. L’histoire fait qu’il y a, en France, beaucoup plus d’églises que de mosquées. Certains intellectuels proposent donc, pour compenser cette injustice héritée de l’histoire, que l’Etat finance la construction de mosquées. Jean Baubérot argumente en ce sens en proposant de lire l’article premier de la loi de 1905, selon lequel « la République […] garantit le libre exercice des cultes », comme imposant à l’Etat le devoir de mettre des lieux de culte à disposition des fidèles, de manière à donner un contenu positif, et non seulement formel, à cette liberté religieuse prévue par la loi. Or je trouve que c’est une très mauvaise idée, et même une idée dangereuse.

Bien sûr, plusieurs mots clés de la formule en jeu, aussi bien le mot garantit que le mot libre, sont ambigus. Les notions abstraites n’ont jamais une seule définition possible, et en l’occurrence on peut interpréter la liberté religieuse dont il est question comme une liberté purement négative (l’Etat n’empêche personne d’exercer sa religion, et empêche les gens d’empêcher d’autres gens d’exercer leur religion) ou bien comme une liberté positive (l’Etat fait en sorte que les gens puissent matériellement exercer leur religion). Comment choisir ?

Dans un cas comme celui-là, il me semble qu’on doit choisir l’interprétation la plus cohérente avec les valeurs fondamentales dont on estime qu’elles devraient guider la rédaction de la loi. Or l’une de ces valeurs fondamentales, et peut-être la plus importante, c’est l’égalité de traitement et l’universalité. La meilleure interprétation du principe de liberté religieuse est celle qui est la plus compatible avec cette exigence d’universalité, en vertu de laquelle aucun-e citoyen-ne, en raison de sa religion, n’est traité-e comme un-e citoyen-ne de seconde zone.

Mais précisément, seule une interprétation restrictive du principe de liberté religieuse garantit cette universalité. Si par « garantit le libre exercice des cultes », on entend simplement : « assure aux gens qu’ils ne seront pas empêchés d’exercer leur culte », alors ce principe peut s’appliquer à toutes, absolument toutes, les religions, mêmes celles qui sont ultra-minoritaires, même celles qui ne comptent qu’une poignée de fidèles en France ou dans une région donnée. S’il y a quelques jaïns au fin fond de la Corrèze, quelques druzes en Ardèche ou quelques bahaïstes sur le plateau du Larzac, ceux-ci et celles-ci sont concerné-e-s par cette protection négative de la liberté religieuse : l’Etat s’engage à ne pas les persécuter, et à les protéger contre les atteintes directes à leur liberté. Après, bien sûr, les druzes, les bahaïstes et les jaïns en question n’ont pas forcément de lieu de culte ou de clergé à leur disposition.

Si on donne un sens plus fort à la formule de l’article 1, cela permettrait peut-être aux musulman-e-s d’avoir des mosquées plus facilement, mais on perdrait au passage la dimension universaliste de la loi. Car il est techniquement impossible à « la République » d’assurer, dans ce sens fort, le « libre exercice des cultes » : il est techniquement impossible de satisfaire à toutes les exigences de tou-te-s les fidèles, partout en France, de toutes les religions, car les ressources de l’État sont forcément limitées. En ce sens, le désir d’exercer un culte doit être analysé comme un goût dispendieux : les gens peuvent avoir ce désir, mais alors ils doivent l’assumer, et soit y renoncer, soit s’organiser pour pouvoir le satisfaire (en déménageant, en cotisant pour assurer la construction d’un lieu de culte près de chez eux, etc.).

Dans ce cas précis, puisqu’il y a un conflit d’interprétation portant sur les termes de la loi, la solution la plus juste est de choisir l’interprétation qui garantisse le mieux la possibilité d’une lecture universaliste, c’est-à-dire l’interprétation de la liberté religieuse comme une liberté purement négative. L’interprétation inverse prétend lutter contre des injustices héritées de l’histoire ; mais celles-ci ne sont réellement de la faute de personne sinon de l’histoire elle-même, et l’existence d’une « injustice » de fait de ce type-là n’implique aucune inégalité de respect ou de traitement, puisqu’elle n’est le fruit d’aucune décision concertée (elle constitue juste l’environnement de base dans lequel les individus se meuvent, font leurs choix, et s’adaptent grâce aux ressources dont ils disposent). Et au nom de cette lutte contre ces « injustices » de fait, elle crée de nouvelles injustices, beaucoup plus graves, elles, puisque celles-ci impliquent de déterminer explicitement, sur une base forcément arbitraire, et en vertu de considérations forcément perméables aux préjugés, quelles sont les religions dont on satisfera les demandes (en l’occurrence, pour Baubérot, au moins l’islam), et quelles sont les religions (minoritaires) qu’on enverra se faire voir.

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A quoi sert de faire l’éloge des vieilles lois ? Réponse à p4bl0

Mon dernier billet a donné lieu à une objection judicieuse de p4bl0. Tout en faisant l’éloge des vieilles lois, je ne contestais pas qu’il fallût également et même surtout juger une loi sur ses qualités intrinsèques : pas seulement sur son ancienneté, mais aussi sur sa justice. Dès lors, comme dit p4bl0 : « Est-ce que le caractère vieux d’une loi a vraiment une importance ? » Ou bien est-ce un critère qui se dissout de lui-même dans d’autres critères plus importants ? Cela a-t-il un quelconque intérêt de faire l’éloge des vieilles lois en tant que telles ?

J’ai répondu dans les commentaires, mais ma réponse se révèle suffisamment longue et, je crois, susbtantielle, pour donner lieu à un nouveau billet. À l’objection de p4bl0, je réponds deux choses :

1.

Le mot d’ordre « Aimons les vieilles lois » a de toute façon une importance psychologique. Aujourd’hui, l’heure est plutôt à la frénésie législative (c’était surtout vrai sous Sarkozy, dont on moquait parfois le réflexe « un fait divers = une loi ») : le discours commun, c’est plutôt qu’il faut adapter la loi aux évolutions de la société. Il me semble que c’est un état d’esprit déplorable, qui incite les gens à s’imaginer par exemple qu’il y a un « problème musulman » qu’il faut absolument régler, et pas, disons, un « problème laïque » réglé depuis longtemps. Donc avant même de considérer les lois en question, c’est une bonne chose que d’avoir un préjugé favorable aux vieilles lois. Peut-être sera-t-on amené-e à les modifier ou à les abroger si on les juge mauvaises, mais ce préjugé favorable constitue un biais qui est, dans l’ensemble, plutôt positif.

2.

Surtout, et c’est le point le plus important de cette réponse, il n’est pas toujours évident de décider si une loi est bonne ou pas. Il y a des tas de circonstances où la plupart des gens n’ont pas d’avis sur une loi donnée, parce qu’il n’y a pas de principe évident qui vaille en la matière, ou bien parce que la loi repose sur un certain compromis entre deux principes de force équivalente, auquel cas il n’y a pas vraiment de critère pour trancher (voir, ici, le 2e point). Dans ce cas, l’éloge des vieilles lois par rapport aux nouvelles me paraît tout à fait légitime.

Par exemple, sur le fait d’appliquer la loi sur l’administration de substances nuisibles aux cas de contamination volontaire par le VIH. L’article de Maître Eolas que je mettais en lien explique que :

Le régime de l’administration de substances nuisibles s’aligne sur celui, un peu bizarre, des violences volontaires. En effet, pour des éléments constitutifs identiques (une administration, un acte de violence), la répression va varier uniquement en considération du résultat.

Je n’ai pas d’avis sur ce point, parce que je ne l’ai pas examiné, et parce que je n’ai pas spécialement envie de perdre du temps à l’examiner. Il y a probablement des gens très intelligents qui y ont réfléchi, et qui se sont dit que cette solution était bonne. Elle a sans doute des qualités et des défauts, mais elle a sa logique. Eh bien, aligner les cas de contamination au VIH sur ce délit-là, c’est beaucoup mieux que de refaire une loi ad hoc où la question des degrés de répression serait :

  1. réexaminée entièrement par le législateur ;
  2. parasitée par l’existence de préjugés défavorables aux séropositif/ve-s ou par le lobbying d’Act Up.

On ne peut pas juste se demander si la loi condamnant l’administration de substances nuisibles est bien faite ou pas. Elle a sans doute des qualités et des défauts. On peut théoriquement réfléchir à ces qualités et à ces défauts, et proposer de meilleures solutions, mais le débat sur la contamination au VIH n’est vraiment pas le meilleur moment pour le faire.

Un autre exemple qui me vient en tête, c’est le système électoral. Les systèmes électoraux (majoritaires, proportionnels, à un tour, à deux tours) ont différents avantages et inconvénients. On a le droit d’en préférer un, pour des raisons de représentativité démocratique (la proportionnelle ?) ou de stabilité parlementaire et gouvernementale (le système majoritaire ?). Mais on peut aussi se dire que chaque système ayant ses qualités et ses défauts, le choix de l’un au détriment de l’autre ne constitue pas, a priori, un scandale. En revanche, ce qui est scandaleux, c’est quand un parti au pouvoir modifie le système électoral avant une élection dans le seul but de rester au pouvoir

[En continuant un peu à partir de ce cas de figure, on arrive à l’idée que parfois, même si une loi est bonne, on peut être contre son adoption simplement parce que le contexte dans lequel elle est discutée et votée en fait une loi ad hoc et un instrument de stigmatisation. La décision d’un tribunal allemand d’interdire la circoncision, en la rangeant dans la catégorie des mutilations, ne me choque pas tant que ça. C’est une interprétation de la loi qui peut se défendre et qui, par certains côtés, paraît même logique. Mais si les député-e-s français s’avisaient aujourd’hui d’interdire la circoncision, même si c’était par une loi plus générale, je serais peut-être contre quand même car il me semble qu’il s’agirait d’une loi ad hoc, adoptée dans un contexte où il y a beaucoup de discours et de lois islamophobes. La meilleure solution, alors, consisterait à ne rien faire et à continuer comme avant, puisque ça fait des décennies qu’on fonctionne comme ça sans trop de problème.]

(Je mets ça en petit et entre crochets, parce que je suis moins sûr de moi que pour le reste).

Le fond du problème, c’est que toutes les lois ne suscitent pas chez les citoyen-ne-s une franche approbation ou un dégoût scandalisé. La plupart des lois, soit on s’en fiche, soit on a un avis modéré dessus. Les lois qui occupent le devant de l’actualité sont par nature les plus polémiques, celles sur lesquelles on est enclin-e-s à avoir un avis tranché. Mais la loi, c’est aussi ce qui décide de si la pomme qui pousse sur la branche du pommier de M. Untel, mais au-dessus du jardin de Mme Unetelle, parce que la branche passe au-dessus de la clôture, appartient à M. Untel ou à Mme Unetelle. Aucune solution n’étant absolument évidente ni scandaleuse, il vaut mieux s’en remettre à la sagesse de nos ancêtres.

Éloge des vieilles lois

Je discutais vaguement avec un ami, l’autre jour, des rapports entre libéralisme et conservatisme. C’était une discussion de fin de soirée, donc pas très sérieuse, mais cela m’a fait penser qu’il y avait bien un point par où mon libéralisme pouvait s’apparenter à une certaine forme de conservatisme, à savoir mon goût pour les vieilles lois.

Je ne veux pas dire par là que toutes les vieilles lois sont dignes d’être défendues, mais simplement que toutes choses égales par ailleurs, le fait qu’une loi soit vieille est plutôt, à mes yeux, un bon point en sa faveur.

Un exemple ou cela me paraît particulièrement claire, c’est la laïcité. On entend parfois des hommes ou des femmes politiques expliquer qu’il faut moderniser les lois laïques, et notamment adapter celle de 1905 au goût du jour. La société ayant évolué, il conviendrait de mettre le droit en accord avec elle. Or moi, ce que j’aime bien dans la loi de 1905, c’est précisément qu’elle est ancienne, c’est-à-dire qu’elle a été faite pour répondre à une situation qui n’a pas grand-chose avec celle d’aujourd’hui. La loi a été faite dans un contexte où il s’agissait surtout de régler les rapports entre l’État et l’Église catholique : il me plaît beaucoup qu’elle puisse servir aujourd’hui à régler les rapports entre l’État et des pratiquant-e-s musulman-e-s. Le fait d’appliquer à des musulman-e-s une loi qui n’a pas été faite pour eux/elles est la garantie qu’ils/elles seront traité-e-s de manière neutre, non arbitraire, non discriminatoire. Même si l’application d’une loi ancienne et pas faite pour eux/elles se trouve les désavantager d’une manière apparemment injuste, eh bien ce ne sera la faute de personne ; en tout cas il ne s’agira pas d’une loi ad hoc faite pour les humilier. Toutes les lois « laïques » récentes, au contraire, que ce soit celle de 2004 sur les signes religieux à l’école, celle qui interdit le port de la burqa, etc., visent spécifiquement les musulman-e-s. Même si les lois en question sont formulées en termes généraux (ce n’est pas « le voile » mais « les signes religieux ostensibles » qui sont interdits, ce n’est pas « la burqa » mais le fait de se couvrir le visage dans un lieu public qui est interdit), il n’empêche qu’elles ciblent les musulman-e-s, comme en témoignent les débats publics qui les ont précédées et accompagnées. Ce sont donc des lois ad hoc – et en termes d’équité et de refus de l’arbitraire, les lois ad hoc, c’est un problème.

Au moment de son adoption, la loi de 1905 était aussi une loi ad hoc, et c’est peut-être dommage. Mais aujourd’hui, plus d’un siècle s’est écoulé, et ce désancrage contextuel de la loi est ce qui garantit sa neutralité et sa portée réellement universelle.

Autrement dit, de même qu’un principe n’est pas fait pour être adéquat aux situations où on l’applique, de même une bonne loi est une loi qui n’a pas été faite en vue de la situation où on l’applique.

*

Dans un article contre l’interdiction des signes religieux, j’écrivais :

Je ne trouve pas forcément cela rédhibitoire de soutenir une loi qui alimente ou crée des sentiments racistes, ou instaure une discrimination, si par ailleurs cette loi se justifie par des principes forts. Par exemple, peut-être qu’une loi contre la circoncision serait perçue comme humiliante par un grand nombre de juif/ve-s et de musulman-e-s, et peut-être que cela alimenterait des campagnes antisémites et islamophobes, mais on peut raisonnablement estimer que c’est un prix à payer pour faire prévaloir un principe fort comme celui du respect de l’intégrité physique des enfants. Pour prendre un exemple sans doute un peu moins sensible, si c’est pour de légitimes raisons d’hygiène qu’on impose le port de maillot de bain (plutôt que d’autres vêtements plus couvrants) dans les piscines, alors il n’y a pas de raison de faire des exceptions pour des femmes dont les croyances religieuses leur imposeraient de s’habiller comme ceci ou comme cela. Si la norme est légitime (et a priori, la norme hygiénique l’est) et que l’application stricte de cette norme entraîne une discrimination religieuse, alors les préférences religieuses des individus concernés doivent être considérés comme des goûts dispendieux (selon le jargon de la philosophie politique contemporaine), auxquels ils sont libres de renoncer, et non comme une donnée de la situation à laquelle la norme générale devrait s’adapter.

Ce qui me paraît vrai pour les principes me paraît également vrai, dans une certaine mesure, pour les vieilles lois, dans la mesure où une vieille loi acquiert une valeur de principe. L’intérêt de l’état de droit, c’est que pour réglementer ou interdire un comportement particulier, il faut en passer par loi, donc par le général. Il faut donc, d’une manière ou d’une autre, énoncer une norme générale qui aura valeur de principe. Mais lorsqu’une loi est faite en vue d’une situation particulière, sa dimension générale et principielle n’est souvent qu’un habillage factice, qui permet de donner l’apparence de l’universalité à une décision particulière. Cependant, lorsque les circonstances qui ont donné naissance à cette loi ont disparu, la loi se retrouve réduite à son principe, qui survit auxdites circonstances.

C’est pour cela d’ailleurs que, comme je le disais plus haut, « même si l’application d’une loi ancienne et pas faite pour [les musulman-e-s] se trouve les désavantager d’une manière apparemment injuste, eh bien ce ne sera la faute de personne ; en tout cas il ne s’agira pas d’une loi ad hoc faite pour les humilier ». Si c’est au nom d’une loi qui n’a rien à voir avec l’islam qu’on interdit les vêtements de bain couvrants dans les piscines, aucune femme musulmane ne pourra légitimement râler si on ne la laisse pas se baigner en burkini. En revanche, si on a inventé cette loi pour répondre au « problème » des femmes qui se baignent en burkini, c’est autre chose.

*

Un autre exemple du même type que j’aime bien, c’est le fait d’utiliser, pour sanctionner les personnes qui transmettent volontairement le VIH, une loi des années 1830 qui réprime l’ « administration de substances nuisibles » (si pas d’intention homicide) ou l’empoisonnement (si intention homicide) (voir Maître Eolas pour les détails). Je trouve cela assez merveilleux : on utilise, pour réprimer un comportement aux enjeux sociétaux lourds, une très vieille loi qui a sans doute plutôt été faite pour régler les cas où on met de l’arsenic dans le yaourt de quelqu’un. Les législateurs de l’époque n’avaient sans doute pas pensé à la possibilité d’appliquer cette loi à des transmissions volontaires de maladies vénériennes, et c’est précisément pour cela que c’est cette loi qu’il faut appliquer. Il serait très ennuyeux de faire une loi exprès pour la contamination au VIH (même si cette loi faisait semblant d’être générale en réprimant, par exemple, toute transmission de MST potentiellement mortelle), car elle risquerait d’être soit trop sévère (à cause de la stigmatisation que subissent les personnes séropositives), soit trop clémente (à cause par exemple du lobbying anti-pénalisation mené par une association comme Act Up). Il s’agirait alors d’une loi ad hoc, faite exprès pour régler un problème de société spécifique, avec tous les risques d’arbitraire que cela comporte. Utiliser une loi de 1832 sur l’empoisonnement, cela paraît baroque, mais en fait c’est beaucoup mieux.

Contre l’interdiction des signes religieux

Je suis tout à fait opposé à la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l’école. Mais pas seulement – je suis aussi opposé à la loi, je ne sais pas de quand elle date d’ailleurs, interdisant le port de signes religieux par certain-e-s fonctionnaires, comme les enseignant-e-s.

Il y a, contre la loi de 2004 en particulier, une série d’arguments que je veux bien reprendre à mon compte par opportunisme : je ne les trouve pas faux, mais ils seraient insuffisants à eux seuls. Ces arguments sont ceux qui insistent sur le fait qu’interdire les signes religieux, et en particulier le foulard musulman puisque c’est essentiellement de cela qu’il s’agit, d’une part crée une discrimination à l’égard d’une population dominée (les femmes musulmanes), d’autre part alimente l’islamophobie, crée du racisme, divise la classe, etc. Ce sont des analyses factuellement correctes, mais en soi, je ne trouve pas forcément cela rédhibitoire de soutenir une loi qui alimente ou crée des sentiments racistes, ou instaure une discrimination, si par ailleurs cette loi se justifie par des principes forts. Par exemple, peut-être qu’une loi contre la circoncision serait perçue comme humiliante par un grand nombre de juif/ve-s et de musulman-e-s, et peut-être que cela alimenterait des campagnes antisémites et islamophobes, mais on peut raisonnablement estimer que c’est un prix à payer pour faire prévaloir un principe fort comme celui du respect de l’intégrité physique des enfants. Pour prendre un exemple sans doute un peu moins sensible, si c’est pour de légitimes raisons d’hygiène qu’on impose le port de maillot de bain (plutôt que d’autres vêtements plus couvrants) dans les piscines, alors il n’y a pas de raison de faire des exceptions pour des femmes dont les croyances religieuses leur imposeraient de s’habiller comme ceci ou comme cela. Si la norme est légitime (et a priori, la norme hygiénique l’est) et que l’application stricte de cette norme entraîne une discrimination religieuse, alors les préférences religieuses des individus concernés doivent être considérés comme des goûts dispendieux (selon le jargon de la philosophie politique contemporaine), auxquels ils sont libres de renoncer, et non comme une donnée de la situation à laquelle la norme générale devrait s’adapter. Si, donc, il y avait un principe suffisamment fort, par exemple le principe de laïcité, qui exigeât des jeunes filles musulmanes qu’elles enlevassent leur voile avant d’entrer dans un établissement scolaire, je n’aurais pas nécessairement d’objection à ce qu’elles soient discriminées sur cette base.

Or je maintiens que ce n’est pas le cas, et que la laïcité impose même tout le contraire. Il me semble qu’il y a déjà quelque chose de profondément anti-laïque dans l’attitude consistant, pour un État, à déterminer ce qui est un signe religieux, par opposition à ce qui n’en est pas un : la neutralité religieuse de l’État, par quoi je définis la laïcité, devrait aller jusqu’à impliquer un aveuglement d’État à l’égard de ce qui relève du religieux et de ce qui n’en relève pas. Si, comme le dit la fameuse loi de 1905, « l’État ne reconnaît […] aucun culte », il ne devrait pas non plus en reconnaître les signes.

Sinon, en effet, que se passe-t-il si je décide de lancer une religion imposant le port, mettons, du T-shirt bleu ? (Et je serai son prophète, et ce blog sera sa bible.) Trois possibilités :

  • interdire le port du T-shirt bleu pour tout le monde, ce qui est sérieusement liberticide, et qui de toute façon excède la portée de la loi, puisque dans la majorité des cas le port du T-shirt bleu ne constitue pas, de fait, un signe religieux ;
  • ne pas interdire le port du T-shirt bleu, ce qui revient à dire que ma religion n’est pas sérieuse ou n’existe pas, ce qui d’une part est très vexant, et d’autre part offense ma liberté de culte (de quel droit l’État décide-t-il de ce qui est une vraie religion ?) ;
  • n’interdire le port du T-shirt bleu que pour mes adeptes, ce qui constitue une discrimination inacceptable.

L’exemple a l’air un peu tiré par les cheveux. Tant mieux ; car il y a des cas bien réels, en réalité, qui ressemblent à celui-là, et qui posent à peu près les mêmes questions théoriques : il y a eu des jeunes filles qui se sont vu signifier l’interdiction de porter des jupes longues au collège, sous prétexte qu’il pouvait s’agir d’un signe d’appartenance à l’islam. La situation est proche de celle que je viens d’évoquer : on a un vêtement, qui peut éventuellement prendre dans certains cas une signification religieuse, mais pas toujours. C’est donc l’État, sous couvert de laïcité, qui est chargé de s’ériger en théologien, et de décider s’il s’agit ou non d’un signe religieux. Comme il n’y tient pas, il laisse les choses se faire dans l’arbitraire le plus total, ce qui ne peut manquer d’entraîner des traitements discriminatoires sur la base de la religion de la personne concernée ou, éventuellement, du nom ou de l’apparence physique – on sera sans doute beaucoup plus enclin-e à interpréter comme religieuse une longue jupe noire portée par une jeune fille arabe que par une jeune fille blanche.

Quand on parle des signes religieux à l’école, les exemples auxquels on pense tout de suite (croix, foulard musulman, kippa, voire turban sikh) font en fait assez peu problème : il s’agit en général de signes religieux non équivoques. Encore qu’on pourrait chicaner : un T-shirt avec une croix de Toulouse, c’est un symbole religieux ? culturel (occitan) ? politique (occitaniste) ? Un maillot de foot de l’équipe d’Angleterre, avec la croix de saint Georges dessus ? Et même pour le foulard musulman, quitte à donner dans le morbide, voici une source possible de problème : le foulard musulman peut prendre des formes très diverses, plus ou moins couvrant, etc. En particulier, ce n’est pas son aspect propre qui permet de le différencier du foulard que pourrait porter une jeune fille chauve suite à une chimiothérapie, par exemple – on peut fort bien se retrouver dans la situation gênante où un-e enseignant-e demanderait à une de ses élèves d’enlever un vêtement, tout en permettant à une autre de le garder, alors que matériellement le vêtement est exactement le même, et qu’a priori l’enseignant-e n’a pas à savoir ni la religion, ni la condition médicale précise de ses élèves… (et pour peu que la jeune fille atteinte du cancer soit arabe…) En tout cas, les polémiques sur les jupes longues montrent que le danger existe précisément quand l’État, ou ses représentant-e-s à l’échelon local que sont un-e proviseur/se de lycée ou un-e enseignant-e, prétendent faire œuvre de théologien-ne-s, et décider de ce qui est religieux et de ce qui ne l’est pas. C’est la porte ouverte, non seulement à la discrimination, mais pire encore : à l’arbitraire (où le racisme se cache si souvent). Seule une conception scrupuleusement libérale de la laïcité, comprise comme neutralité religieuse de l’État et indifférence des institutions publiques à l’égard de la religion, permet d’éviter ces écueils. Pour cette raison, je suis contre la loi de 2004 – et mes arguments s’appliquent aussi à l’interdiction du port de signes religieux par les fonctionnaires.

Jocelyn Maclure, Charles Taylor : Laïcité et liberté de conscience

Cela fait deux semaines que je n’ai rien publié sur ce blog – ce n’est, dans l’absolu, pas énorme, mais c’est une durée plus longue que toutes celles que je m’étais accordées jusqu’à présent entre deux billets. Il n’y a pas de mystère : si j’ai été moins actif ces derniers temps, c’est essentiellement parce que j’ai eu, par ailleurs, pas mal de boulot. D’autre part je prépare une série de billets qui, si tout se passe, devraient voir le jour prochainement, et que je tiens à soigner. Certains de mes billets récents, comme le dernier, ou même comme celui-là, étaient un peu alimentaires : pas forcément inutiles ni absurdes, mais théoriquement moins ambitieux que, par exemple, ça, ou ça, ou ça. Là, je prépare quelque chose d’un peu plus costaud. En attendant, et pour ne pas laisser le blog à l’abandon, j’y publie ce texte que j’avais écris il y a quelques mois, en septembre 2013, et déjà posté sur mon Facebook à l’époque.

Il s’agit d’une critique de livre : j’inaugure le genre, sur ce blog. Mais il n’est pas obligatoire d’avoir lu le bouquin pour comprendre ce que j’en dis : le livre lui-même, au fond, n’est que le déclencheur contingent de réflexions de ma part qui, à mon avis, peuvent valoir pour elles-mêmes.

L’intérêt de ce texte consiste non seulement dans ce que je dis sur la question de la laïcité (un sujet qui m’intéresse, et dont je n’ai pas encore parlé sur le blog), mais aussi dans la forme générale qu’il adopte, et dans le type de pensée qu’il déploie. Je le vois vraiment comme une tentative de ma part (réussie j’espère, mais ce n’est pas à moi de le dire) de remettre de la dialectique là où il n’y en avait pas – après avoir buté sur les limites de la pensée non dialectique des auteurs du livre. Voilà qui peut, à mon avis, se méditer.

*

Je viens de lire Laïcité et liberté de conscience, publié en 2010 par Jocelyn Maclure et Charles Taylor – ce dernier étant un philosophe canadien très connu, militant du Nouveau Parti démocratique (le parti social-démocrate canadien) et auteur d’ouvrages majeurs en philosophie politique. Il a participé en 2007 à la « Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles », et ce livre est partiellement issu de ses travaux de l’époque.

Cet essai, assez bref, est très stimulant. La première partie, intitulée « Penser la laïcité », n’est pas la meilleure : elle consiste en une tentative de définition, puis de typologie, de la laïcité, et s’achève par une défense vigoureuse et intelligente d’une conception « libérale-pluraliste » de la laïcité, contre les conceptions « républicaines » de la laïcité représentées notamment par Henri Peña-Ruiz. Autrement, et hormis une tentative d’élévation conceptuelle dans les tout premiers chapitres, on n’a pas forcément l’impression d’en retirer de grandes idées bouleversantes : à beaucoup d’endroits, les auteurs disent simplement mieux que d’autres ce qui constitue déjà, pour moi, quelques évidences qu’il est, certes, toujours salutaire de rappeler – le chapitre 4, par exemple, est consacré à démontrer les limites de la théorie selon laquelle la laïcité reposerait sur une séparation entre « sphère publique » et « sphère privée ». Un autre passage argumente en faveur de l’idée selon laquelle le port de signes religieux par des fonctionnaires n’est pas un problème. Mais tout cela, beaucoup de militant-e-s le disent déjà, d’une façon peut-être un peu plus lâche conceptuellement. Jusqu’ici, rien de révolutionnaire.

La deuxième partie, en revanche, intitulée « Penser la liberté de conscience », vise essentiellement à établir et défendre une théorie cohérente de l’ « accommodement raisonnable » en englobant de façon très convaincante les questions relevant de la laïcité au sens strict, c’est-à-dire du rapport entre le pouvoir politique et la religion, dans le problème plus général de la liberté de conscience (pas forcément en matière religieuse). C’est ainsi que pour les auteurs, dans le cadre d’un État démocratique moderne respectant le pluralisme quant aux conceptions du monde des citoyen-ne-s, il n’est pas légitime d’attribuer aux convictions religieuses un autre statut qu’aux convictions métaphysiques séculières – les unes et les autres relevant toutes du champ des « convictions fondamentales », ou des « engagements fondamentaux ». A la lumière de cette redéfinition, les auteurs s’attachent à montrer à quelles conditions il peut être fait entorse à l’universalité de la loi pour protéger la liberté de conscience et l’égale prise en considération des minorités, notamment religieuses mais pas seulement.

Après un début un peu poussif, donc, on a franchement plaisir à voir se résoudre, progressivement, la plupart des questions laissées en suspens, et le livre progresser vers une conception de plus en plus ferme et de plus en plus cohérente de l’ « accommodement raisonnable ». Il reste que, comme pour beaucoup de bons livres, les qualités de celui-ci tiennent au moins autant à ce qu’il pose des jalons solides pour penser plus loin que ce qu’il ne le fait, qu’à ce qu’il apporterait une réponse intégralement satisfaisante aux questions qu’il pose. Deux points, en particulier, appellent des développements ultérieurs.

D’abord, l’ « accommodement raisonnable » est justifié au nom de l’égale considération due à tou-te-s les citoyen-ne-s, et à la neutralité nécessaire de l’état vis-à-vis de la pluralité des choix de vie et des options philosophiques. Du coup, il est toujours considéré comme un mécanisme correctif, visant à annuler ce que les lois générales et universelles peuvent avoir d’injustement discriminatoire à l’égard des minorités. Mais les deux auteurs sont apparemment aveugles au fait que les mécanismes même d’accommodement raisonnable sont souvent susceptible de fournir auxdites minorités des privilèges exorbitants par rapport aux autres personnes, ce qui met précisément à mal le principe de neutralité de l’Etat vis-à-vis des choix philosophiques des individus. Le livre aborde, par exemple, la question de l’objection de conscience en matière militaire : celle-ci serait justifiée comme mesure d’accommodement raisonnable si et seulement si l’objecteur de conscience peut alléguer sincèrement qu’aller faire la guerre lui causerait un tort moral excessif en heurtant ses convictions profondes – que celles-ci soient assises sur un socle religieux ou séculier. Mais dans ce cas précis, l’objection de conscience ne permet pas seulement au pacifiste de ne pas trahir sa conscience ; elle a aussi pour conséquence annexe, et non négligeable, de lui éviter d’aller se faire tuer à la guerre, de demeurer avec sa famille, etc. La discrimination envers les non-pacifistes est évidente. Pour prendre un autre exemple moins dramatique, les auteurs proposent que l’on considère différemment le juif pratiquant qui veut finir le travail à 16h le vendredi pour rentrer chez lui avant le coucher du soleil de manière à respecter le jour du sabbat, et le travailleur qui veut finir le travail à 16h pour simplement éviter la congestion routière. C’est ne pas voir, ou passer sous silence, que cette proposition a pour conséquence corollaire de permettre aussi au juif pratiquant d’éviter la congestion routière. Que devient, dans ces conditions, l’exigence d’égale considération et de non-discrimination ? Ce genre de raisonnements peut fournir des éléments pour une critique universaliste, voire libérale, de la pratique des « accommodements », et il est regrettable que les auteurs n’en fassent pas état, alors même que certains de leurs exemples s’y prêtent largement. Leur mérite indéniable, toutefois, est de proposer des outils conceptuels permettant de rendre compte efficacement de cette même contradiction, et de penser, au fond, les limites de leur propre position.

Plus étonnant, peut-être, est le refus des auteurs de s’intéresser à une solution évidente et élégante, d’inspiration libérale là encore, aux problèmes que les accommodements raisonnables sont censés venir régler. Si une certaine norme entraîne une discrimination indirecte justifiant le recours à des accommodements… pourquoi ne pas remettre en question ladite norme ? L’impossibilité de respecter simultanément les droits des minorités et la norme établie pourrait, devrait parfois, servir d’aiguillon intellectuel pour penser la remise en cause de la norme admise, ou pour penser une organisation sociale tout à la fois universaliste et respectueuse de la liberté de chacun-e. Y aurait-il besoin de réfléchir à un « accommodement raisonnable » permettant à des élèves juifs ou musulmanes de se couvrir la tête en classe, si le port de couvre-chefs en classe n’était pas interdit ? (C’est apparemment en ces termes que la question s’est posée au Québec.) Y aurait-il besoin de prendre des mesures dérogatoires en faveur des policiers et militaires musulmans si le port de la barbe parmi les forces de l’ordre ou dans l’armée était autorisé ? Y aurait-il besoin de prévoir des repas spéciaux pour les juif-ve-s, les musulman-e-s ou les végétarien-ne-s dans les cantines, les avions, les hôpitaux et les prisons si l’on partait du principe qu’un choix minimal dans les menus proposés est un droit pour tou-te-s – et que le coût supplémentaire ainsi engendré pour la collectivité peut être justifié pour des raisons, précisément, de garantie des libertés individuelles ? Les auteurs évoquent brièvement cette piste, mais bottent rapidement en touche en insistant sur le caractère parfois incontournable de la pratique des accommodements : ainsi, il est impensable qu’une société se passe d’un calendrier civil à peu près unifié, qui ne peut pas ne pas, d’une façon ou d’une autre, se fonder sur les habitudes de la majorité de la population et donc en particulier sur des normes d’origine religieuse, telles que le repos dominical, éventuellement discriminatoires pour les personnes pratiquant une religion minoritaire. C’est vrai. On concèdera aussi que, pour des raisons de protection des droits sociaux, on interdira et/ou limitera juridiquement le travail dominical, et qu’il ne serait pas socialement souhaitable de libéraliser les pratiques en la matière. Mais rien ne dit que ces contre-exemples judicieusement choisis soient significatifs ni majoritaires, et qu’ils ne fassent pas écran aux situations, plus nombreuses, où des propositions d’inspiration universalistes et libérales pourraient faire l’affaire – tout en échappant aux écueils déjà signalés de la pratique de l’accommodement.

En fait, c’est peut-être là qu’on se heurte aux limites politiques d’un auteur comme Charles Taylor (je ne dis rien de son co-auteur, dont je ne connais pas les éventuelles affiliations partisanes). Sans être un intellectuel organique, Taylor est un militant social-démocrate, membre d’un parti de gouvernement ou quasi – et qui, à ce titre, manque d’audace. Le livre, du reste, est en grande partie une amplification-développement des positions soutenues dans le cadre des travaux de la commission Bouchard-Taylor de 2007, commission tout ce qu’il y a de plus officielle. Taylor et Maclure privilégient, pour résoudre les problèmes qu’ils mettent au jour, des solutions fondées sur des aménagements marginaux, des « accommodements » (quitte à taire les problèmes que ceux-ci soulèvent dans le cadre même de leur système théorique), aux solutions plus universalistes, plus radicales et, insistons-y, plus libérales, reposant sur une remise en cause des cadres théoriques et, concomitamment, des institutions sociales et politiques dans leurs grands principes de fonctionnement. Pour le dire brutalement : une fois qu’on a posé comme base, au nom de principes incontestablement progressistes comme la liberté de conscience et l’égale considération des options philosophiques et religieuses, le droit pour un pacifiste de ne pas aller faire la guerre, il est impossible de s’arrêter en chemin et de ne pas tirer de cette position la seule conclusion cohérente avec les principes énoncés, à savoir l’abolition de la guerre – pour tou-te-s. Une société post-capitaliste débarrassée de l’exploitation, des oppressions et des guerres est seule compatible avec une conception authentiquement libérale, progressiste et pluraliste de la laïcité – le travail ou le repos dominical cesserait probablement d’y être un problème, tant notre conception du temps, du loisir, du travail même y serait différente, et tant les cartes y seraient, à tous égards, rebattues. La question des menus en prison ne s’y poserait probablement pas non plus, tant les conditions de détention, pour autant qu’il y ait encore des prisons, y seraient différentes. Je ne dis pas que tout y serait parfait et que tous les problèmes, que toutes les difficultés, s’y règleraient comme par magie. Mais tendanciellement, les apories contenues dans les solutions proposées par Taylor et Maclure ne commencent à trouver de solutions vraiment satisfaisantes que dans une société où les contraintes exercées sur les individus seraient minimales, et minimales pour tou-te-s – c’est-à-dire une société communiste. En attendant, il est révélateur que des philosophes arrivent à défendre, au nom d’une conception explicitement libérale et universaliste de la laïcité, un système au fond peu compatible avec l’universalisme, et, si l’on y songe un peu, qui pose des problèmes éthiques sérieux. Tout cela, au fond, ne dépend que des limites que l’on décide, a priori, d’assigner à sa réflexion.