Même si je fais désormais complètement partie de la team #JeNeMeConfineraiPas, il n’en a pas toujours été ainsi.
Lors du premier confinement, mon comportement a été légalement et épidémiologiquement irréprochable ; je suis resté confiné seul, sans voir personne, pendant deux mois, et j’ai même refusé, alors que mon moral n’était franchement pas au beau fixe, de faire une balade d’une heure en plein air avec un ami confiné pas très loin de chez moi. Et à la levée du confinement, j’ai continué à faire beaucoup de zèle – davantage que ce qui nous était officiellement demandé : je me suis refusé à avoir une activité sociale plus d’un jour sur deux (ce qui m’a conduit à refuser des invitations, et, une autre fois, à insister pour discuter par Skype avec un ami plutôt que d’aller le voir en vrai) ; je ne voulais pas que l’on soit plus de six ensemble pour dîner (alors que les recommandations à l’époque étaient de 10) ; j’ai mis un bon mois avant de reprendre les transports en commun ; etc. Mais alors, qu’est-ce qui a changé, qu’est-ce qui fait que maintenant, en gros, je n’en ai plus rien à foutre des règles ?
Eh bien à l’époque du premier déconfinement, j’avais le sentiment que mon autonomie éthique était respectée. Le gouvernement nous avait déconfinés, peut-être même plus tôt que je ne le craignais ; en dépit de tout ce que je pouvais lui reprocher, c’était un geste de confiance envers la population ; c’était donc à chacun de prendre les choses en main et de définir pour soi-même une ligne de conduite en pondérant des considérations de trois ordres :
1) ses propres besoins sociaux ;
2) sa propre tolérance au risque ;
3) son civisme, son altruisme, appelez-ça comme vous voulez, en tout cas sa propre responsabilité dans le redémarrage (ou non) de l’épidémie.
Et je ne vois pas bien au nom de quoi l’on priverait les individus de faire leurs propres choix, leurs propres arbitrages, leurs propres décisions, sur des questions comme celles-là. Ce sont eux qui sont les mieux placés pour connaître leurs besoins sociaux, pour évaluer leur tolérance au risque de maladie, mais aussi pour examiner leurs valeurs morales et décider à quel moment les efforts « altruistes » qu’on leur demande deviennent trop importants, deviennent injustifiés, par rapport à la préservation de leur propre bien-être ou de leur propre santé mentale. Bref, l’autonomie éthique, c’était bien.
Et puis les choses se sont gâtées. Il est apparu de plus en plus vite que les médecins, hommes politiques, journalistes, commentateurs, etc., ne comprenaient rien à ce qui se passait dans la population, et que les choix des uns et des autres étaient systématiquement dénoncés comme étant « égoïstes », « inconscients », « irresponsables », etc., au lieu d’être vus comme des choix certes discutables, mais aussi informés et défendables. On a vu refleurir les discours lénifiants sur la « pédagogie » dont le gouvernement n’aurait pas suffisamment fait preuve pour convaincre les gens de bien respecter les gestes-barrières (comme d’ailleurs pour convaincre les gens que sa réforme des retraites était bonne….). Bref, plutôt que de poser les questions éthiques fondamentales, que l’on avait mises sous cloche pendant le premier confinement, mais qui auraient pu et dû aider les individus, et la société, à prendre des décisions informées et éclairées, on a matraqué, matraqué, matraqué les gens avec un discours complètement monologique largement fait de slogans creux. Voici pourtant les questions que l’on aurait dû se poser :
– des gens meurent ; c’est grave ? c’est grave à partir de combien ? c’est grave pourquoi ? c’est grave comment ? (après tout, 600 000 personnes meurent chaque année en France est-ce « grave » ?) ;
– si les réas sont saturées : c’est grave ? c’est grave pourquoi exactement, et c’est grave à quel degré ? S’il y a des gens dont on ne peut pas s’occuper faute de place en réa, quel est le problème exact ? juste la surmortalité ? ou autre chose ?
– les covids longs, les séquelles : c’est grave ? grave pourquoi, grave comment, grave à partir de combien de gens ?
– comment on évalue le coût d’un confinement, non seulement en termes économiques, mais en termes de perte de bien-être ? comment on fait pour évaluer le tort symbolique énorme consistant dans le bouleversement radical et soudain de toutes les valeurs de socialité, de vivre-ensemble et d’ouverture à l’autre qui fondaient, en principe, notre société libérale ? C’est grave comment, ça ?
– est-ce que ça a vraiment de sens de parler de « sauver des vies » ; est-ce qu’en réalité, ce qu’on sauve, ce n’est pas, beaucoup plus modestement, des années de vie ? (C’est ce que Gaspard Koenig nous rappelle à juste titre dans une récente tribune parue dans Les Échos) ;
– est-ce qu’il faut éprouver un sentiment de culpabilité si l’on contamine quelqu’un ? ou bien, est-ce qu’il faut considérer qu’il est difficile de maîtriser un virus respiratoire et qu’il n’y a pas à chercher de responsabilité individuelle ?
– est-ce que la politique sanitaire du gouvernement obéit à une logique utilitariste, et si oui, quel est le calcul coût-bénéfice sur lequel il s’appuie ? à une logique déontologiste, et si oui, quels sont les impératifs catégoriques qu’il entend promouvoir ?
– tout ça va durer combien de temps ? À partir de combien de mois ou d’années de confinement, de semi-confinement, de stop-and-go insupportable, on lâche l’affaire et on estime que laisser filer le virus est un moindre mal ?
C’est ce genre de débats qu’il aurait fallu avoir sur les plateaux télé, en fait, pour que les gens puissent décider en toute conscience de ce qu’ils veulent faire, de la manière dont ils veulent régler leur rapport à l’autre. Mais ce n’est évidemment pas ce qui a été fait. On a préféré nous refuser toute autonomie éthique, nous prendre pour des enfants, pour des incompétents, nous intimider, nous contraindre, nous manipuler, nous sommer de nous ranger à la philosophie implicite officielle du gouvernement et des médecins exorbités au souffle court (« la mort c’est mal », « il faut sauver des vies », « soyons solidaires », bla bla bla). Rien n’a été fait pour aider vraiment les gens à comprendre la situation, à se l’approprier, à réfléchir.
À partir d’août, les restrictions ont recommencé, avec d’abord cette décision complètement absurde du port du masque obligatoire en extérieur (histoire de gesticuler, de montrer qu’on fait quelque chose), puis les restrictions sur les bars et les restaurants, puis le couvre-feu, puis le confinement, puis le semi-déconfinement actuel, puis à nouveau le confinement bientôt ; tout ça sans aucune perspective temporelle, sans aucune réflexion éthique sérieuse, mais avec une négation complète de la compétence éthique des personnes, et leur soumission à des injonctions hétéronomes, mal adaptées, brutales, policières, stressantes, désastreuses à tout point de vue. C’est juste scandaleux.
Alors dans ces conditions, bien sûr que #JeNeMeConfineraiPas, pour reprendre ce hashtag qui commence à être populaire sur Twitter. Puisque les décisions gouvernementales se substituent à mon propre jugement, puisque Olivier Véran sait mieux que moi ce que je dois faire, eh bien allez-y, faites donc, confinez, couvre-feutez, interdisez, menacez. Mais mon sens de ma responsabilité s’est complètement émoussé. Puisque toutes ces lois, ces décrets, ces mesures sont prises le nez dans le guidon, au nom de fausses évidences jamais interrogées, et dans le mépris complet de toutes les questions que l’on est pourtant en droit de se poser, j’ai juste l’impression d’assister à un grand cirque obscène auquel je refuse de participer. Puisque vous pensez que vos lois, vos mesures, sont efficaces pour contrôler l’épidémie, et puisque vous pensez que l’épidémie peut être maîtrisée, et puisque vous pensez qu’elle peut l’être à un coût socialement et politiquement acceptable, allez-y, essayez, je vous regarde faire, en mangeant du pop-corn (avec mes amis) (et pas par Zoom). J’étais prêt à jouer le jeu tant qu’on me traitait en adulte, mais puisqu’à vos yeux nous sommes des enfants immatures qu’il faut enfermer dans leurs chambres, très bien ; on va jouer au chat et à la souris.