Pavlenski, militant réactionnaire

Je pourrais commencer par dire que je n’ai aucune sympathie pour Benjamin Griveaux, qu’il ne m’inspire aucune espèce de compassion, que je hais tout ce qu’il représente politiquement, et vous savez quoi ? Je vais le faire. Maintenant, cela étant dit, il me semble important de condamner sans aucune espèce d’ambiguïté l’acte dont il a été victime, parce que quelles que soient les justifications minables de Pavlenski et quelles que soient les arguties sur les politiques réactionnaires et liberticides du parti macroniste, il n’empêche : Griveaux n’est pas la seule personne dont il s’agisse dans cette affaire.

Griveaux n’a pas été violé, certes, ni subi d’agression sexuelle physique, mais il a été victime de violence (au moins morale et psychologique), et cette violence touche à l’intime et au sexuel ; il n’est pas déplacé d’utiliser à propos de cette affaire l’expression de « violence sexuelle ». Et les violences sexuelles relèvent d’un registre d’action parfaitement toxique, quelle qu’en soit la victime. Enfin, que dirait-on une femme politique d’extrême droite était violée punitivement par un antifasciste ? « Bien fait pour elle, c’est une fasciste » ? « Circulez, y a rien à voir » ? Ce ne seraient évidemment pas les réactions appropriées. Le concept de « culture du viol » sert précisément à penser ce genre de situations, en décentrant le regard de chaque cas particulier, de chaque victime particulière, pour envisager les choses comme un problème général concernant non seulement la fréquence affolante des viols, mais aussi la tolérance dont on fait socialement preuve envers les viols et les violeurs. Et quand on prend le problème comme cela, on doit bien se rendre compte que pratiquer ou justifier un tel acte, même envers la pire des crapules, cela a pour conséquence sociale d’entretenir la culture du viol, en abaissant notre seuil de révulsion face au viol, etc.

Griveaux n’a pas été violé, certes, mais il a subi quelque chose que le code pénal nomme joliment « pornodivulgation », et que l’on appelle plus couramment « revenge porn ». C’est une forme de violence dont les femmes sont majoritairement victimes, qui relève et participe d’un sexisme structurel, qui sert à humilier la sexualité des femmes. Que la victime ici soit un homme, et un homme puissant, et un homme puissant et hétéro, ne change rien à ce fait. Il est irresponsable d’avoir la moindre indulgence pour un acte d’une part, un argumentaire d’autre part, qui contribuent, fût-ce contre la volonté de Pavlenski (admettons sa bonne foi…), à légitimer des pratiques de slut-shaming. Benjamin Griveaux n’est pas la seule victime.

Au fait, tout cela me rappelle d’assez près la pratique de l’outing punitif telle qu’elle était pratiquée et théorisée voilà quelques années par Act Up : il s’agissait de révéler publiquement l’homosexualité de personnalités politiques qui avaient pris des positions homophobes (Renaud Donnedieu de Vabres en avait fait les frais après qu’il eut participé à des manifestations anti-PACS). L’argumentaire d’Act Up et celui de Pavlenski sont assez similaires : il s’agit de dénoncer l’hypocrisie réactionnaire de ceux qui ne font pas ce qu’ils disent et qui reprochent aux autres de faire ce qu’eux-même font. Sans revenir sur le bien-fondé de telles accusations dans les cas précis de Donnedieu de Vabres ou de Griveaux, il me semble que cette pratique de l’outing punitif pose un gros problème éthique, en ceci qu’elle entérine le fait que l’homosexualité d’un adversaire politique constitue une vulnérabilité – et une vulnérabilité légitime, puisqu’on ne se gêne pas pour l’exploiter, puisqu’on s’en sert comme d’un levier pour nuire. Cela fait longtemps que je trouve qu’il y a quelque chose d’insidieusement réactionnaire dans cette pratique, qui consiste en fait à dire aux homosexuel-le-s qu’ils/elles n’ont pas tout à fait les mêmes droits que les hétéros (droits au nombre desquels je compte celui d’être réactionnaire), puisqu’ils/elles ont une vulnérabilité de plus, dont on ne manquera pas de se servir au nom de la cause. La critique de l’homophobie se retourne elle-même en homophobie larvée, de même que, dans le cas Griveaux, la critique du puritanisme se retourne elle-même en slut-shaming et en puritanisme larvé. L’enfer est pavé de bonnes intentions (quoique celles-ci, je l’avoue, me semblent plus nettes dans le cas d’Act Up que dans celui de Pavlenski).

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2 commentaires

  1. Dans la mesure où tous les « antifascistes » autoproclamés sont en réalité d’authentiques fascistes, le viol ferait bien partie de leurs méthodes. Et dans la mesure où ils ne savent même pas ce que signifie l’extrême droite (à laquelle ils appartiennent de facto), ils s’attaqueraient certainement à une femme n’ayant rien à voir avec cela.

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