C’est super important, la liberté de la presse et la liberté académique.
Mais ce qu’il faut préciser immédiatement, c’est que ces deux libertés-là ne doivent surtout pas faire l’objet d’interprétations bassement corporatistes. Nous ne vivons pas dans une société de castes ou d’ordres, mais dans une société censée être libérale et démocratique ; et dans une telle société, n’importe qui peut se considérer comme journaliste (et bénéficier de la liberté de la presse), et n’importe qui peut se considérer comme chercheur/se (et bénéficier de la liberté académique). C’est particulièrement important de le rappeler à l’heure où certain-e-s cherchent à distinguer selon leur bon plaisir les vrais des faux journalistes, à contester cette qualité de journaliste à Gaspard Glantz ou à Taha Bouhafs par exemple. Mais n’importe qui est journaliste, n’importe qui peut lancer son média, n’importe qui peut tenir son blog, imprimer son tract ou coller ses affiches. Et de même, n’importe qui peut faire de la recherche en amateur/trice, écrire et publier des livres ou des articles obéissant aux normes scientifiques sur n’importe quel sujet. C’est cela, le libéralisme.
Du reste, ni le discours des journalistes, ni celui des chercheuses et chercheurs n’a vocation à circuler en vase clos au sein des corporations concernées. C’est évident pour les journalistes, dont la tâche est d’informer le public, mais c’est également vrai pour les membres de la communauté universitaire : même si les échanges entre pairs jouent un rôle très important dans le développement du savoir scientifique, il n’empêche que tout cela est fait avec l’horizon d’une certaine utilité sociale. Avec toutes les médiations que l’on voudra, les productions de la recherche scientifique ont vocation, à un moment ou à un autre, à redescendre dans le grand public. C’est d’ailleurs pour cela que les chercheur/se-s sont payé-e-s par les impôts des gens. Mais si les discours de presse, si les discours académiques, sont écrits, directement ou indirectement, pour le grand public, alors cela veut dire aussi que n’importe qui au sein de ce « grand public » peut s’en saisir, y répondre, les contester, et les contester sur le même terrain qu’eux, c’est-à-dire produire un discours homogène au leur. N’importe quel-le blogueur/se peut répondre à n’importe quel-le journaliste, n’importe quel-le twitto peut répondre à n’importe quel-le chercheur/se, et engager un débat public dans des formes qui pourront et devront se prévaloir de la liberté de la presse, de la liberté académique.
Pourquoi alors continuer de parler de « liberté de la presse », de « liberté académique », puisqu’elles valent, l’une comme l’autre, bien en-dehors des champs professionnels auxquels leurs noms semblent les cantonner ? Eh bien parce que c’est quand même dans ces espaces restreints que s’élaborent pour une large part les principes qui régissent ces deux « libertés » ; parce que les journalistes et les chercheur/se-s, qui font métier d’écrire, de parler et de publier, sont sans doute un peu mieux placé-e-s que d’autres pour réfléchir aux conditions d’exercice de ces libertés ; et que par conséquent ils/elles en sont les principaux/ales et les plus emblématiques dépositaires et bénéficiaires, mais certainement pas les bénéficiaires exclusif/ve-s. Ces deux formes de la liberté d’expression, liées à deux pratiques différentes du métier d’écrire et de parler, présentent d’ailleurs quelques différences notables. J’en vois une dans le rapport aux sources : l’éthique du chercheur commande de les citer, quand les journalistes au contraire tiennent au droit de ne pas les révéler. Ici les deux traditions professionnelles différentes donnent lieu à deux modes d’exercice différents, et éventuellement concurrents, de la liberté d’expression. Mais sans rentrer dans les détails, contentons-nous de dire que la liberté de la presse et la liberté académique sont deux solides piliers de la « liberté d’expression », et que ce sont des choses trop précieuses pour être laissées aux journalistes et aux universitaires.