Le discours tenu par le film est peut-être plus ambivalent à ce niveau. Et le public peut y piocher ce qui l’arrange (ce qui, pour moi, reste politiquement tout aussi problématique).
Paul Rigouste, commentaire posté sur Le cinéma est politique, 1er juin 2015
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J’ai vu il y a quelques semaines le film Un Français, qui raconte l’histoire d’un ancien skinhead néo-nazi qui rompt avec son passé. Et puis ensuite je suis tombé sur cet article de Philippe Argouarch, qui vise à démontrer que ce film relève de la propagande anti-bretonne. Pourquoi ? Parce qu’on voit un drapeau breton accroché au mur d’un bar d’extrême-droite. Mieux : parce que la séquence où l’on voit ce drapeau breton apparaît même dans la bande-annonce. « Bien sûr, ce n’est pas un hasard », mais bel et bien la preuve que les producteurs du film ont tenu à ce que leur injure au peuple breton soit accessible même à celles et ceux qui n’ont pas vu le film.
Ce genre de délires me rappelle évidemment les articles du genre de ceux qu’on trouve sur le site Le cinéma est politique (LCEP), dont j’ai déjà abondamment parlé sur ce blog. Mais ça me les rappelle… en pire ; je crois que là, on atteint un niveau tel que même les contributeur/trice-s les plus paranoïaques de LCEP seraient d’accord pour dire que peut-être, quand même, il ne faut pas pousser. Je n’en sais rien, je n’ai pas lu de réaction de Paul Rigouste à ce sujet, mais je formule sur la base de mon intuition cette hypothèse charitable.
Le problème, c’est qu’on ne voit pas très bien ce que Paul Rigouste, par exemple, aurait à répondre à un tel article, fût-il en désaccord avec lui. Comment attaquer la thèse de Philippe Argouarch, par quel angle la contester, par quel biais la réfuter ? On peut toujours essayer de dire que les éléments que relève Philippe Argouarch sont trop mineurs dans le film pour être vraiment significatifs, ou bien que la présence du drapeau breton dans un bar d’extrême-droite s’explique par la volonté de montrer une récupération illégitime des symboles de la culture bretonne par les skinheads, etc. Bref, on pourrait formuler à l’égard d’Argouarch des arguments exactement similaires à ceux que j’ai bien souvent envie de formuler contre Rigouste. Et c’est tout de même, du point de vue de Paul Rigouste, un problème : car s’il n’y a plus que le feeling ou l’intuition pour démaquer une critique paranoïaque d’une critique intelligente[1], je ne vois pas ce qui m’empêcherait, moi, de juger paranoïaque la critique où il explique que X-men: Days of Future Past est un film transphobe :
Si Mystique est construite par ce film comme une menace avant tout en tant que femme, il me semble que l’on peut également faire une autre lecture de ce personnage, qui la verrait plus comme une menace du fait de la relative indétermination de son identité sexuée et genrée. Elle a en effet la capacité de se transformer en n’importe quel humain, et ne se prive pas de prendre l’apparence d’hommes. En cela, son existence représente une menace pour l’ordre « hétéro-patriarcal-cis », puisqu’elle ne rentre pas dans ses cadres normatifs fondés sur l’idée d’une « différence des sexes et des genres » qui serait « fondée en nature dans le sexe biologique ». En effet, dans ces cadres opprimants, passer d’un sexe ou d’un genre à un autre constitue une « transgression » allant contre l’« ordre naturel ». […] En faisant de Mystique une méchante qui doit être matée, le film me semble donc véhiculer un discours que l’on pourrait qualifier de « transphobe »[2].
Ou bien, encore, de juger paranoïaque son interprétation selon laquelle le dernier Mad Max est islamophobe, parce que ça se passe dans le désert :
Pensez au public états-unien (et plus largement occidental) qui va dans les salles. On lui montre un peuple qui vit dans le désert (et qui se bat pour du pétrole et de l’eau), avec à sa tête un autocrate-dictateur, avec une armée de fanatique religieux kamikazes prêt à se faire exploser pour la religion qu’il incarne, des enfants qui se font exploiter, des femmes qui sont opprimées, un harem, etc. Est-ce que vous pensez franchement que le public occidental pense d’abord à l’occident quand il voit ça ?
(M’est avis que le « public états-unien » a bon dos, et qu’il permet surtout à Paul Rigouste d’étaler, en les faisant passer pour ceux d’autrui, ses propres préjugés. Mais bon.)
Il n’y a entre les analyses de Paul Rigouste et celles de Philippe Argouarch qu’une différence de degré, ce qui, si on accepte de considérer les secondes comme ineptes, rend les premières profondément suspectes. Je reviens sur cette question, même si le dossier LCEP était à peu près clos depuis quelques mois (mais sur ce blog, aucun dossier n’est jamais vraiment clos !), parce que l’article d’Argouarch me fournit en fait un excellent argument à l’appui de ma thèse centrale développée ici, relative au caractère fondamentalement non objectif et non objectivable des analyses politiques de films à la manière de LCEP. Bon, le (seul) problème, c’est qu’en réalité Paul Rigouste n’a pas, à ma connaissance, critiqué le caractère paranoïaque de l’article d’Argouarch. L’idéal pour moi serait de trouver un vrai débat (peut-être quelque part dans les méandres des commentaires de LCEP ?) où Paul Rigouste occuperait la position structurelle du type raisonnable, face à un-e interlocuteur/trice plus gauchiste que lui… Si je trouve ça, j’en dirai peut-être un mot.
[1] Et c’est peut-être cela, d’ailleurs, qui fait qu’il y a souvent, dans les commentaires de LCEP, des critiques un peu agressives contre les auteur/trice-s des articles, ou faisant preuve d’une ironie mordante. C’est que quand on est convaincu-e d’avoir raison et qu’on se laisse enfermer dans le piège d’une discussion, à laquelle on semble nous inviter, mais qui est en réalité sans objet, la frustration peut finir par nous faire réagir de cette manière.
[2] Liz Kro, du blog Lacets rouges et vernis noirs, avait déjà relevé cette perle.
100% d’accord
Quand j’avais lu l’article de LCEP sur Mad Max (vous m’avez initié à de bien mauvaises lectures !!), j’avais déjà trouvé que le commentaire de Paul Rigouste que vous mentionnez était collector. Il mériterait d’être cité dans son ensemble.
Ce que Rigouste rétorque à son interlocuteur dans le 1er § :
« Certes, on peut voir dans le film une critique des États-Unis dans le film si on en a envie, mais il faut vraiment en avoir envie ! Parce que c’est très loin d’aller de soi à mon avis. Et le niveau d’abstraction de votre résumé (« Religion + pétrole (capitalisme) + armes ») est révélateur du fait que ce n’est pas du tout les US que ce film évoque le plus directement »
cela s’applique parfaitement à ses propres interprétations et il ne semble pas s’en rendre compte.
On peut appliquer à ces lectures politiques ce qui a été 1000 fois dit à propos des interprétations psychanalytiques : si tu cherches des signes d’islamophobie (idem si tu cherches des symboles phalliques) tu en trouveras … mais ce n’est pas parce que tu trouves ce que tu as envie de trouver que l’œuvre veut dire ce que tu lui fais dire.
Le dernier §. et son délire sur le « portes du Valhalla », montre que le dogmatisme est en fait adossé à une grande ignorance.
Je trouve votre suggestion dans la note 1, très perspicace.
Pour échapper à la tentation du trollage, la solution c’est peut-être, comme vous le faites, de passer en mode objectivant : étudier le fonctionnement du délire et cesser de vouloir raisonner le « malade ».
Oui, je trouve que cette solution n’est pas mal. En s’autorisant de petits moments de détente un peu plus sarcastiques, comme dans ce billet…
Sinon, je me disais aussi qu’en partant de ça :
« Pensez au public états-unien (et plus largement occidental) qui va dans les salles. On lui montre un peuple qui vit dans le désert (et qui se bat pour du pétrole et de l’eau), avec à sa tête un autocrate-dictateur, avec une armée de fanatique religieux kamikazes prêt à se faire exploser pour la religion qu’il incarne, des enfants qui se font exploiter, des femmes qui sont opprimées, un harem, etc. Est-ce que vous pensez franchement que le public occidental pense d’abord à l’occident quand il voit ça ? »
On pouvait assez vite arriver à des syllogismes de ce style :
1. Dans le film, il y a des méchant-e-s ;
2. Or dans la mentalité des gens, les méchant-e-s, c’est les musulman-e-s ;
3. Donc le film flatte l’islamophobie de son public ;
4. Donc le film est islamophobe.
Imparable.