Je prépare un billet assez ambitieux théoriquement, sur la question de l’interprétation politique des œuvres d’art [edit 22/12/2014 : le voilà]. Mais pour faire patienter mes bien-aimé-e-s lecteur/trice-s d’ici-là, je propose pour aujourd’hui un bref article qui n’a d’autre prétention que de préciser et de reformuler des idées contenues dans la deuxième et la troisième parties de ma série de billets « Cinéma et politique : des critiques arbitraires ».
Il s’agissait, dans ces textes, d’identifier les opérations par lesquelles les contributeur/trice-s du site Le cinéma est politique produisaient des critiques politiques que je qualifiais d’ « arbitraires » (le terme me paraît de moins en moins adéquat, mais comme c’est celui que j’utilisais alors, je le conserve provisoirement, au moins jusqu’au prochain billet). Ces critiques sont « arbitraires » en ce qu’elles ne sont pas justifiées par une nécessité interne au film : on pourrait, avec un peu d’imagination et sans forcer, proposer des critiques exactement opposées mais tout aussi valables. Ces « opérations » sont au nombre de cinq :
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« La sélection arbitraire des éléments à analyser » : je pioche dans un film un élément qui va dans mon sens, en passant tel autre élément contradictoire sous silence ;
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La surinterprétation, le fait de « faire parler les éléments du film d’une manière incontrôlée » ;
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Le fait d’agencer dans un certain sens les éléments contradictoires d’un film, en les organisant selon une logique du « certes…, mais… », avec une protase qui contient les éléments qui ne m’arrangent pas, et une apodose triomphante qui contient les éléments qui m’arrangent (alors que le contraire serait possible aussi).
Ces trois opérations sont analysées dans cet article.
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La « présupposition d’iconicité » : le fait de supposer gratuitement qu’un fait du film, notamment un personnage, symbolise la catégorie à laquelle il appartient ;
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« La confusion entre descriptif et normatif » : le fait d’interpréter sans raison objective un élément présent dans un film comme signifiant « La réalité est comme ça » ou bien plutôt, au contraire, comme « La réalité devrait être comme ça ».
Ces deux opérations sont analysées dans cet article.
La première chose que je voudrais faire, c’est remplacer ce nom pénible et pompeux d’iconicité par le nom, moins pénible et moins pompeux, d’exemplarité, qui, à vrai dire, fonctionne tout aussi bien. J’appelle donc « présupposition d’exemplarité » le fait de considérer qu’un personnage est représentatif, exemplaire, de sa catégorie.
La deuxième chose que je voudrais faire, c’est organiser ces cinq opérations en trois grands types :
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Les opérations sémantiques, qui concernent le fait d’interpréter gratuitement un élément d’un film dans un sens qui nous arrange. C’est ce que l’on appelle, en général, la « surinterprétation » [edit 22/12/2014 : je change d’avis sur ce point ici] ; il me semble que la « présupposition d’exemplarité » n’en est d’ailleurs qu’un type particulier, et particulièrement fréquent. Il s’agit donc des opérations 2 et 4.
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Les opérations syntaxiques, qui concernent l’agencement des éléments présents dans un film. Il s’agit, dans ma liste précédente, de l’opération 3.
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Les opérations pragmatiques qui, à partir du sens de telle ou telle séquence, vont déterminer la manière dont ce sens est censé agir sur le/la spectateur/trice. Il s’agit de l’opération 5.
Pour mieux comprendre ce schéma tripartite, considérons une phrase. On peut appeler syntaxe la manière dont les éléments s’organisent entre eux : qu’est-ce qui est le sujet, qu’est-ce qui est le complément. On peut appeler sémantisme la manière dont ledit sujet et ledit complément connotent ou dénotent un sens. Et on pourrait parler de valeur pragmatique de la phrase le fait qu’elle combine syntaxiquement ces différents sens pour produire soit une question, soit une injonction, soit un énoncé prédicatif. On retrouve, dans cette opposition entre injonction et prédication, l’opposition entre normativité et descriptivité. Bref, on faut penser le film sur le modèle de la phrase.
(Oui, j’ai des tendances structuralistes.)
Que devient l’opération 1 ? Elle ne rentre pas vraiment dans mon schéma. J’ai d’abord pensé à la ranger, avec l’opération 3, dans la catégorie des opération syntaxiques, mais je crois plutôt qu’elle est une opération fondamentale, nécessaire et antérieure à toutes les autres (par contre, je n’ai pas de mot en –ique pour la désigner). C’est à partir d’une sélection antécédente de certains éléments du film que l’on peut leur donner du sens, les agencer, et leur donner une valeur pragmatique.
Je précise enfin que l’adjectif pragmatique ne me convient qu’à moitié. Si tu as, cher-e lecteur/trice, une meilleure terminologie à proposer, je veux bien que tu me la proposes. (Si ça rime, c’est mieux.)