Mois: octobre 2014

Défense d’Exhibit B (2e partie)

Première partie

Mon précédent billet en défense d’Exhibit B, l’exposition controversée de Brett Bailey, s’est concentré sur un seul argument, essentiel à mes yeux, et longuement développé. Dans cet article, je voudrais répondre à deux autres critiques qui ont été formulées contre cette œuvre. Si vous ne savez pas du tout de quoi je parle, je vous conseille de lire d’abord le précédent billet.

À qui s’adresse Exhibit B ?

Sur Facebook, certaines personnes ont utilisé contre Exhibit B le fait qu’elle s’adressait exclusivement à un public blanc. En plus d’être raciste par son contenu, cette exposition le serait donc également du fait qu’elle discrimine implicitement son public. Dans un commentaire à mon dernier article[1], Eileen Tchouky Heigh écrit d’ailleurs :

Et pourquoi présuppose-t-on que les spectateur de cet événement seront obligatoirement Blancs ? L’exposition serait-il interdite aux noirs, aux arabes et aux asiatiques ? A la rigueur, là, je veux bien crier au racisme, mais envers les spectateurs refoulés.

Bien sûr, l’œuvre n’est à proprement parler interdite à personne. Les Noir-e-s qui s’aviseraient d’aller voir le spectacle n’en seraient évidemment pas refoulé-e-s – heureusement ! Cela étant dit, il n’en reste pas moins vraisemblable que le public préférentiel de l’œuvre soit un public blanc, que l’œuvre ait été prioritairement conçue pour être vue par des Blanc-he-s. Éric Fassin écrit, dans un article où il parle de l’exposition : « Dans ce jeu disciplinaire, le public d’Avignon se découvre blanc ».  Et cette autre critique positive note également : « Là, de numéro, on devient complice, criminel, aveugle et raciste. On devient l’homme blanc qui exhibe l’homme de couleur sans se soucier de ce qu’il est. »

Mais est-il légitime de porter ce fait au discrédit de l’œuvre ? Je ne le pense pas, car après tout, ce n’est ni inhabituel ni choquant qu’une œuvre s’adresse à un public non universel. Ainsi :

  • les concerts ne s’adressent pas aux sourd-e-s, ni les expositions de peinture aux aveugles ;
  • les westerns s’adressent préférentiellement aux amateur/trice-s de westerns ;
  • la littérature de jeunesse s’adresse préférentiellement aux enfants ou aux adolescent-e-s ;
  • les films pornos hétéros s’adressent préférentiellement aux hétéros, les films pornos gays s’adresse préférentiellement aux gays (pour les films lesbiens, c’est sans doute plus compliqué). Et pour aller plus loin dans le même domaine, chaque fétichisme sexuel a son public cible… ;
  • la poésie écrite dans une certaine langue s’adresse aux gens qui comprennent cette langue.

Tous ces exemples ne sont pas sur le même plan, mais ils constituent, pris ensemble, un catalogue assez étendu d’œuvres dont le public n’est pas universel. Cela permet de relativiser beaucoup le scandale que constituerait, d’après certain-e-s, le fait de monter une expo à destination des Blanc-he-s. D’autant que parmi les exemples ci-dessus, certains excluent certaines personnes de leur public beaucoup plus radicalement qu’Exhibit B n’exclut les Noir-e-s. Les aveugles n’ont pas grand-chose à faire dans une exposition de peinture. En revanche, un-e Noir-e peut très bien visiter Exhibit B avec profit et intérêt. Ce cas de figure n’est pas très éloigné de celui d’un-e adulte qui lirait un roman pour ados, et qui y trouverait un intérêt – pas le même que celui qu’y trouverait un-e ado, peut-être, mais un intérêt quand même.

L’expérience esthétique du/de la Noir-e qui va voir Exhibit B est même sans doute, à certains égards, plus raffinée que celle du/de la Blanc-he. En effet, s’il est vrai, comme cela semble être le cas, qu’Exhibit B est prévue pour un regard blanc, alors le/la Blanc-he qui va la voir est simplement confirmé-e dans sa race ; le/la Noir-e qui va la voir, au contraire, est arraché-e (momentanément) à sa race et peut faire l’expérience, hautement intéressante et certainement gratifiante d’un point de vue esthétique, d’une tension et d’un inconfort.

Je voudrais enfin clore cette discussion en rappelant que les gens qui protestent contre le fait qu’Exhibit B soit une expo pour les Blanc-he-s, sont les mêmes qui voient dans le dispositif d’Exhibit B les marques de la blanchitude de son créateur, Brett Bailey. Mais il faudrait savoir : si l’on admet que le discours artistique sur le racisme est racialement situé (c’est-à-dire : si l’on considère qu’un-e Blanc-he et qu’un-e Noir-e ne peuvent pas parler du racisme exactement de la même façon), alors il est hypocrite de considérer que la réception de ce discours sur le racisme pourrait être universelle. D’après cette logique même, il est normal qu’il y ait des œuvres pour les Noir-e-s, et d’autres pour les Blanc-he-s (c’est-à-dire : des œuvres qui s’adressent prioritairement ou premièrement à un public noir, respectivement blanc, mais sans exclure que les Blanc-he-s, respectivement les Noir-e-s, puissent trouver dans ces œuvres un intérêt égal, et même éventuellement supérieur, au plaisir du public cible).

L’argument du financement public

Je voudrais à présent répondre à un argument qui, contrairement au précédent, a été proposé par John Mullen lui-même, non seulement dans sa pétition mais aussi et surtout dans une tribune qu’il a publiée dans Le Plus du Nouvel Obs. L’argument repose sur le fait que cette œuvre bénéficie d’un financement public. Dans sa tribune, John Mullen écrit ainsi :

Si un jeune Blanc voulait enchaîner des volontaires noirs dans son jardin, appeler cela de l’art et demander aux voisins de payer pour venir voir, ce serait un autre débat. Mais l’argent public ne doit pas être dépensé pour un ouvrage qui, incontestablement, n »est pas respectueux à l’encontre des groupes ethniques.

Je trouve cet argument assez hypocrite ; je pense qu’il a essentiellement pour fonction de rendre apparemment acceptable ce qui pourrait sinon passer (à bon droit !) pour une forme de censure pure et simple.

Car de quoi s’agit-il, en fait, quand on parle de financement public ? La fin de la pétition nous donne un indice :

Nous demandons au centre 104, et au Théâtre Gérard Philippe [sic], tous deux financés par de l’argent public, de déprogrammer cette exposition.

D’après John Mullen lui-même, donc, ce n’est pas Exhibit B qui est financé par de l’argent public, mais le Centre 104 et le Théâtre Gérard-Philipe. Alors oui, forcément, Exhibit B est donc indirectement financé par de l’argent public. Mais à ce compte-là, si un jeune Blanc voulait exposer dans son jardin des Noir-e-s enchaîné-e-s, et que ce jeune Blanc fût fonctionnaire, donc reçût de l’État l’argent qui lui permît d’organiser sa performance, on pourrait dire aussi de son œuvre qu’elle est « financé[e] par de l’argent public. » Ce critère perd tout son sens si on l’utilise alors que le financement dont il est question est indirect. Ici, contrairement à ce que certaines formules de John Mullen laissent entendre, personne nulle part ne s’est jamais dit : « Tiens, on va donner de l’argent à Brett Bailey. » Il y a des gens qui se sont dit, d’ailleurs sur la base (je suppose) de critères objectifs : « On va donner de l’argent au Centre 104 », et des gens, au Centre 104, qui se sont dit : « On va se servir de cet argent pour inviter Brett Bailey. » Rien de plus.

Et puis, que propose-t-on à la place ?

  • John Mullen souhaite-t-il que les institutions culturelles, comme le Centre 104, le Théâtre Gérard Philipe, l’ensemble des théâtres municipaux, départementaux, régionaux, nationaux de France et de Navarre, l’ensemble des musées, etc., soient privatisés, et que l’État se désengage de la culture ? Peu de gens, à mon avis, soutiennent une idée pareille – en tout cas ce n’est ni ma perspective, ni probablement celle de John Mullen puisqu’il affirme sur son blog être militant à Ensemble, organisation qui, comme son nom peu programmatique ne l’indique pas forcément, est une composante du Front de gauche, et non un think tank libertarien ;
  • John Mullen propose-t-il de soumettre le financement public des institutions culturelles à une validation a priori de leur programmation par je ne sais quelle instance d’État, par le/la ministre de la culture, par une commission quelconque (élue ou non) ? Ce serait tout à fait fâcheux pour la liberté de la création artistique ; une telle mesure reviendrait à confier à l’État un rôle démesuré dans la régulation de l’art et de la culture, alors que son rôle idéal devrait être de gérer le pluralisme de la société civile, de respecter le pluralisme des conceptions politiques et le pluralisme des conceptions esthétiques, et de ne pas intervenir pour favoriser les unes ou les autres.

Le système actuel (que je ne fais que décrire dans ses grandes lignes, car je n’ai pas la moindre idée de son fonctionnement précis) est un bon système, libéral sans être libertarien, qui, en démultipliant les niveaux de prise de décision et en évitant qu’il y ait un acteur tout-puissant, capable à la fois de donner de l’argent à des institutions et de surveiller leur programmation, organise une sorte de neutralité publique à l’égard de la politique culturelle, sans organiser le désengagement financier de l’État. Dans un tel système, il est évident qu’il y aura, parfois, des programmations qui ne plaisent pas – à l’État, au/à la ministre, au peuple, à certain-e-s militant-e-s antiracistes[2], à John Mullen… Mais qu’y faire ? D’un certain point de vue, c’est tant pis. D’un autre point de vue, c’est tant mieux.


[1] Commentaire auquel j’ai répondu. La première partie du présent article reprend pour l’essentiel la matière de ma réponse.

[2] Je tiens au certains, ici. Il y a aussi des associations anti-racistes qui soutiennent le projet de Brett Bailey, comme la CIMADE.

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Défense d’Exhibit B (1re partie)

Deuxième partie

Certain-e-s camarades sont en train d’essayer de monter une campagne contre le spectacle Exhibit B, de Brett Bailey, dont j’ai déjà parlé ici (et que, par ailleurs, je n’ai pas vu). Dans la pétition qu’il a lancée, John Mullen demande aux deux institutions franciliennes qui, normalement, vont accueillir l’exposition en novembre et en décembre, soit le Centre 104 (à Paris) et le Théâtre Gérard-Philipe (à Saint-Denis), de la déprogrammer. Je suis en radical désaccord avec cette campagne, et ce billet vise à expliquer pourquoi. Il s’inscrit aussi dans la continuité de mes récents billets sur la critique politique des films, puisqu’il va aborder la question des conditions de possibilité de l’interprétation des œuvres d’art.

1.

Le problème, pour discuter d’Exhibit B, c’est qu’il faut commencer par décrire l’exposition – or il n’est pas possible de la décrire de manière neutre, vous allez tout de suite comprendre pourquoi. Que nous dit John Mullen ?

L’exposition met en scène des Noirs enchaînés et dans différentes positions dégradantes. Une femme africaine, seins nus, en costume “tribal” est suivie par une femme noire assise, enchainée au cou…Les figurants noirs sont embauchés dans chaque ville où l’exposition est présentée, et les spectateurs payent pour visiter un à un les Noirs, qui restent silencieux et immobiles. L’exposition fait référence aux zoos humains d’avant la deuxième guerre mondiale, où des Noirs et d’autres peuples « exotiques » étaient exhibés pour le divertissement des Blancs dans une époque encore bien plus raciste que la nôtre.

Dans le paragraphe suivant, Exhibit B est décrit comme un « événément raciste » ; il n’y a pas d’autres arguments que ceux contenus dans le paragraphe que je viens de citer : présence de Noir-e-s enchaîné-e-s, silencieux/ses, immobiles et dans des positions dégradantes, sous le regard des spectateur/trice-s. Cette description suffirait donc à prouver, selon John Mullen, qu’Exhibit B est un « événement raciste ».

Factuellement, tout ce que John Mullen écrit dans ce paragraphe est vrai. Je suis même d’accord pour dire que le fait de mettre des Noir-e-s dans des cages sous le regard de spectateur/trice-s qui payent pour les voir, a priori, c’est raciste. Si une telle description était adéquate à son objet, la question du caractère raciste de l’exposition ne se poserait pas.

Or si ce que dit John Mullen est vrai, sa description n’est pas, pour autant, « adéquate » à son objet – car elle est gravement lacunaire. Les éléments que Mullen cite tirent l’exposition dans un sens « raciste » – il y en a d’autres qui jouent dans le sens exactement inverse, à commencer par l’intention explicite de Brett Bailey, qui est de dénoncer le racisme, non seulement celui qui a mené à la mise en place de zoos humains, mais aussi celui qui, aujourd’hui, fait que l’on maltraite les sans-papiers : ainsi, l’une des dernières installations du spectacle met en scène un Noir attaché sur un siège d’avion, en train d’être expulsé vers son pays d’origine. Le propos de Brett Bailey, dès lors, est de mettre en regard le traitement infligé aux sans-papiers et le traitement infligé aux indigènes à l’époque coloniale. Bref, l’optique avouée de Brett Bailey est clairement anti-raciste. Dans une discussion avec un soutien de cette pétition, je me suis vu rétorquer péremptoirement que l’intention de l’auteur, on s’en fiche, ce n’est pas ça qui compte mais l’effet réel de l’œuvre. C’est une ligne de défense très faible, parce que dans la mesure où cette intention est explicite, affichée sans ambiguïté dans les trailers de l’expo, et formulée, d’après un article que j’ai lu, dans les prospectus qu’on vous donne à l’entrée, on est obligé-e de considérer que cette intention de l’auteur fait partie du dispositif de l’œuvre. Le sens de l’œuvre ne s’y résume pas, mais il l’inclut – comme il inclut, également, le discours des interprètes (ces interprètes que John Mullen s’attache à nous dépeindre exclusivement comme muet-te-s et passif/ve-s, ce qui n’est donc pas tout à fait vrai) : en effet cet article d’Éric Fassin, qui a beaucoup aimé l’expo, signale que le/la spectateur est invité-e, à la sortie, à « lire […] comment les interprètes […] revendiquent leur engagement dans ce projet. » Un autre élément qui tire l’œuvre dans un sens anti-raciste, c’est son titre : exhibit signifie, en anglais, « pièce à conviction ». Mais « pièce à conviction » de quoi, si ce n’est du racisme colonial et contemporain ? Le titre de l’exposition, et les commentaires qui l’entourent (et s’intègrent à son dispositif) constituent donc une première série d’éléments pour justifier une lecture anti-raciste d’Exhibit B.

Deuxième série d’éléments qui tirent le spectacle dans un sens anti-raciste : l’objectification du/de la spectateur/trice, qui répond en miroir à celle des figurant-e-s. On est donc bien loin d’un dispositif de type « zoo humain ». Premièrement, les spectateur/trice-s sont tout aussi muet-te-s que les figurant-e-s : on leur impose le silence à l’entrée. Deuxièmement, on leur attribue un numéro, et on tire au sort leur ordre de passage dans le spectacle (on ne peut pas faire l’exposition en groupe : on peut y aller en groupe, mais on se retrouve de toute façon séparé-e des autres au moment où l’on visite), ce qui a un côté nettement humiliant. Troisièmement, les panneaux qui accompagnent les installations mentionnent le spectateur sur le même plan que le/la Noir-e du tableau vivant concerné et que les objets du mobilier : le/la spectateur/trice n’est pas extérieur-e au dispositif, mais pris-e dedans, et il/elle se retrouve déshumanisé-e, objectifié-e, à l’instar des Noir-e-s qu’il/elle est venu-e observer. Quatrièmement, et surtout, les figurant-e-s ont pour consigne de soutenir le regard des spectateur/trice-s, de ne pas les quitter des yeux (toutes les critiques positives, à commencer par celle de Fassin, mentionnent cet élément, mais John Mullen, non). Beaucoup de critiques décrivent un véritable sentiment de malaise : le/la spectateur/trice est venu-e voir, mais en fin de compte il/elle est vu-e lui/elle-même, observé-e, disséqué-e.

Et cela me mène à la troisième série d’éléments : les figurant-e-s ne sont pas si passif/ve-s et déshumanisé-e-s que cela. Tout le propos de l’exposition est de les déshumaniser pour les ré-humaniser, et faire jaillir leur dignité du cœur même de leur humiliation. Une dignité qui passe par cette violence du regard accusateur, donc, mais qui passe aussi par la beauté du chant qu’entonnent les têtes coupées des quatre Namas – je suis, là encore, l’article d’Éric Fassin (ils/elles ne sont donc décidément pas si muet-te-s que cela, nos figurant-e-s). Et j’ai déjà mentionné le fait qu’à la sortie, on a l’occasion de lire ce qu’ils/elles ont à dire sur le projet.

2.

Alors, que faut-il conclure ? Incontestablement, les éléments permettant de tirer l’œuvre dans un sens raciste existent, et John Mullen les souligne. Mais tout aussi incontestablement, les éléments permettant de tirer l’œuvre dans un sens anti-raciste existent aussi, et comme vous le voyez, ils sont assez nombreux. Je ne prétends pas qu’ils me permettent de dire quelque chose comme : « il est faux qu’Exhibit B soit raciste ». Mais je prétends qu’ils me permettent de dire : « Exhibit B est anti-raciste ». Il y a, en tout cas, dans cette œuvre, des éléments qui tirent la signification de l’œuvre dans ce sens. La seule position possible est de considérer qu’Exhibit B est à la fois raciste et anti-raciste – ou, si on trouve cette formulation trop paradoxale, de considérer qu’Exhibit B contient à la fois des éléments qui vont dans le sens du racisme et des éléments qui vont dans le sens de l’anti-racisme[1].

Dès lors, il faut distinguer deux sens possibles de l’affirmation : « Exhibit B est raciste ». En un sens fort, cette affirmation implique que son contraire soit faux, implique qu’Exhibit B n’est pas anti-raciste. En un sens faible, elle peut s’accommoder de la vérité de l’affirmation contraire : Exhibit B est raciste et anti-raciste. En énumérant, comme le fait John Mullen, les éléments qui vont dans le sens du racisme, il prouve qu’Exhibit B est raciste dans le sens faible, mais pas qu’Exhibit B est raciste dans le sens fort. Pour prouver qu’Exhibit B est raciste dans le sens fort, il faudrait en outre prouver que les éléments qui vont dans le sens de l’anti-racisme sont neutralisés par les éléments qui vont dans le sens du racisme, ou qu’ils sont objectivement moins importants, etc. Et c’est précisément ce qu’il ne fait pas.

Comment pourrait-il le faire ? Comment pourrait-il prouver qu’Exhibit B est raciste dans un sens fort ? Eh bien à mon avis, il ne le peut pas. Dans une description objective des différents éléments de l’œuvre, il n’y a rien qui permette de dire que les uns l’emportent sur les autres, que les uns neutralisent les autres, etc., plutôt que l’inverse. Aucune mise en mots de l’œuvre ne permettra de répondre à cette question – la seule réponse possible consiste dans l’alchimie personnelle qu’opérera chaque spectateur/trice, sur la base de sa culture propre, de son vécu propre, de son expérience propre. À la sortie, et à partir d’un même matériau, à partir d’éléments identiques, certain-e-s spectateur/trice-s jugeront l’œuvre raciste (c’est-à-dire qu’ils/elles jugeront que les éléments qui vont dans le sens du racisme l’emportent sur les éléments qui vont dans le sens de l’antiracisme) et d’autres jugeront l’œuvre antiraciste.

Je ne vois pas comment il serait possible de donner raison aux un-e-s plutôt qu’aux autres ; je ne vois pas quel type d’arguments il serait possible d’invoquer pour donner raison aux un-e-s plutôt qu’aux autres. À partir du moment où la réception de l’œuvre est, de fait, non univoque, la seule position raisonnable est sans doute de considérer qu’il n’y a pas de sens objectif de l’œuvre, qu’il n’y a qu’une pluralité de sens subjectifs possibles.

Cela implique-t-il qu’il soit toujours impossible de dire qu’une œuvre est, par exemple, raciste « en un sens fort » ?

Je pense que non : il y a sans doute des cas où une telle appréciation est possible. Je pense qu’il n’est pas gênant, par exemple, d’affirmer que le film Naissance d’une nation (1915), de D. W. Griffith[2], est raciste « en un sens fort ». Je veux dire par là que l’affirmation « Naissance d’une nation est raciste » porte bien sur le sens objectif du film, non sur une impression de spectateur/trice qui serait susceptible de coexister, sur un pied d’égalité, avec l’affirmation contraire. Mais ce qui permet de passer d’une analyse de l’œuvre comme étant raciste « en un sens faible » à une analyse de l’œuvre comme étant raciste « en un sens fort », c’est précisément la présence de critères qui font défaut dans le cas d’Exhibit B. Le premier de ces critères, c’est le consensus sur la réception de l’œuvre : tout le monde s’accorde, ou presque[3], à dire que Naissance d’une nation est raciste. Un second critère, c’est l’intention de l’auteur : Griffith a clairement pensé son film comme une apologie du Ku Klux Klan (l’affiche représente d’ailleurs un chevalier du K.K.K.). Aucun de ces critères n’est réuni pour Exhibit B, puisque Brett Bailey a au contraire insisté sur le caractère antiraciste de son œuvre, et puisqu’il y a visiblement beaucoup de gens très raisonnables, très intelligents, et très bien intentionnés qui ont fait d’Exhibit B une lecture antiraciste, à commencer par les figurant-e-s eux-mêmes, mais aussi les directeur/trice-s des centres culturels qui ont accueilli le spectacle, et une bonne partie de la critique[4].

3.

Voilà donc la situation : Exhibit B est, si l’on veut, à la fois raciste et antiraciste ; ou, si l’on veut, cela revient à peu près au même, ni raciste, ni antiraciste ; elle est, en tout cas, susceptible de l’une et l’autre lectures. John Mullen, dans sa pétition, présente uniquement les arguments en faveur de l’une des deux lectures, et enjoint ses lecteur/trice-s à apporter leur signature à sa cause. Est-ce acceptable ?

A priori, dans un débat, il n’y a rien de choquant à apporter des arguments en faveur d’une des thèses en présence, et à laisser à son adversaire le soin de défendre la position adverse. Si je débats contre un partisan de la peine de mort, on ne me reprochera pas de ne présenter que les arguments contre la peine de mort. Oui mais voilà, cette façon de procéder ne me paraît acceptable qu’à la condition, précisément, qu’elle prenne place dans un débat. C’est le fait que mes arguments, à la fois, réfutent les arguments de mes adversaires et soient susceptibles d’être réfutés par eux, qui garantit leur relativité et m’autorise à ne pas faire moi-même le pour et le contre. C’est une question de respect pour mon auditoire ou pour mes lecteur/trice-s (qui peuvent aussi être, en l’occurrence, mes adversaires) : quoi que je dise, ce ne sera pas le dernier mot de la question, et leur intelligence pourra s’exercer à renforcer mes arguments, à les nuancer, à les détruire, etc.

Le problème, c’est que la position de John Mullen ne s’inscrit pas dans le cadre d’un débat ; elle est à la lettre irréfutable. Comme je l’ai déjà dit, les éléments qui vont dans le sens du racisme et les éléments qui vont dans le sens de l’antiracisme ne se détruisent pas entre eux. Par conséquent, on peut toujours développer, à côté de ce que dit John Mullen, des arguments tendant à montrer qu’Exhibit B est, en fait, antiraciste ; il n’empêche que l’argumentation de Mullen demeure, en droit, hors de portée. (L’inverse est vrai aussi : ses arguments n’atteignent pas les arguments qui vont dans le sens contraire.) La seule manière de résoudre la contradiction, le seul catalyseur susceptible de permettre une synthèse entre les deux argumentations parallèles, c’est l’expérience personnelle du spectacle par le/la spectateur/trice. Or c’est précisément ce que John Mullen entend refuser à ses lecteur/trice-s, puisque son but politique est de faire annuler la représentation d’Exhibit B en France. John Mullen veut que le moins de monde possible puisse se faire, par soi-même, une idée du contenu réel du spectacle.

Pour résumer, il y a deux manières de laisser entendre à un-e lecteur/trice que la position défendue dans un article n’est pas la seule position possible :

  • soit cet article s’inscrit dans le cadre d’un débat rationnel, fondé sur un échange d’arguments qui s’entre-réfutent et s’entre-détruisent : dans ce cas, chacun de mes arguments fonctionne implicitement comme un appel à l’esprit critique du/de la lecteur/trice, et l’invitent à imaginer les autres arguments possibles, pour et contre ;
  • soit cet article, par son propos, échappe à la réfutabilité, parce que les arguments qu’il mobilise ne sont pas de ceux qui sont susceptibles d’être réfutés ou détruits par d’autres : c’est le cas, notamment, des jugements de goût sur un film, ou des jugements politiques du genre « Gravity est sexiste », « Exhibit B est raciste », etc. Dans ce cas, le/la lecteur/trice a au moins la possibilité de se faire un avis par lui-même, en voyant le film ou l’exposition concerné-e. S’il n’en a pas la possibilité matérielle (il n’y a pas de cinéma près de chez lui, tous les billets de l’exposition sont déjà partis…), il a au moins la possibilité de réserver son jugement. Or John Mullen ne demande pas à son/sa lecteur/trice de réserver son jugement jusqu’à ce qu’il/elle ait vu Exhibit B : il lui demande de signer une pétition pour que personne ne puisse le voir !

Finalement, la position de John Mullen se fait passer pour ce qu’elle n’est pas. En adoptant la forme d’une pétition accompagnée d’un argumentaire, en sollicitant l’avis du/de la lecteur/trice, elle se donne l’air d’une position rationnelle, susceptible donc d’être rationnellement rejetée ou adoptée. Or ce n’est pas vrai : on ne peut pas argumenter contre la position de Mullen (et donc, on ne peut pas non plus véritablement argumenter pour), et le seul moyen disponible pour se faire avis (à savoir : voir le spectacle) nous est interdit. La position de John Mullen est donc, en un sens, manipulatrice – et cette manipulation appelle la condamnation morale la plus vigoureuse.

Il serait fâcheux que l’obscurantisme et la manipulation aient gain de cause. Il serait fâcheux que la censure ait gain de cause. J’emploie ce terme à dessein, car on me l’a reproché : on m’a objecté qu’il y avait des censures légitimes, et puis qu’il ne s’agissait pas d’interdire l’œuvre mais simplement de la déprogrammer, etc. On m’a signalé que les termes de censure et de liberté d’expression, sans autre précision, étaient plus confusants qu’autre chose : si une revue refuse un article, s’agit-il d’une censure, ou bien de l’exercice légitime de la liberté d’expression de la part du comité éditorial de la revue ? C’est une discussion intéressante, dans laquelle je n’ai pas la place de réellement rentrer ici. Mais il me suffira de signaler qu’en l’occurrence, je trouve moralement injustifiée la censure contre Exhibit B, même en prenant le mot censure dans son sens le plus faible, qui est aussi le sens le plus large. Je trouverais parfaitement injustifié le fait même de tenter de dissuader un-e ami-e d’aller voir cette exposition. J’ai lu, récemment, le livre polémique d’Édouard Louis En finir avec Eddy Bellegueule, que certaines personnes (y compris d’extrême gauche) trouvent très bien et que d’autres (à l’extrême gauche également) trouvent plein de mépris à l’égard des pauvres. Je suis content d’avoir pu le lire et d’avoir pu me faire un avis ; je n’aurais pas du tout apprécié qu’on me demande de ne pas le lire, et à plus forte raison qu’on tente de m’en empêcher. J’aurais considéré cela comme une insulte faite à mon intelligence, et j’aurais envoyé paître les censeur/euse-s. L’attitude de John Mullen, en l’occurrence, appelle le même genre de réponses. Je souhaite donc vivement qu’Exhibit B puisse se tenir à Paris, et partout ailleurs, et je vous invite à ne pas signer cette honteuse pétition.


[1] J’en profite pour rappeler ce que j’écrivais naguère à propos de la critique de Paul Rigouste, du site Le cinéma est politique, sur le film Gravity :

Je ne reprocherais pas (en tout cas, pas dans cette série de billets) aux articles de LCEP d’être faux. Je leur reprocherais volontiers, par contre, de chercher à établir leur validité en vertu d’une conception inadaptée du principe de non-contradiction. L’arrogance dont font preuve certains auteurs (Paul Rigouste, en l’occurrence), et le ton général des articles et des commentaires, me laissent penser que les contributeur/trice-s du site partent du principe suivant : montrer qu’un film est X-phobe*, cela revient à montrer que le film n’est pas non-X-phobe. Or c’est visiblement plus compliqué que cela.

[2] Film que je n’ai pas plus vu que je n’ai vu Exhibit B.

[3] Ce presque est imprécis, mais je n’ai pas mieux à proposer. Je n’ai pas d’idée précise quant au seuil en deçà du quel on peut légitimement traiter les opinions discordantes comme d’insignifiantes scories.

[4] Un supporter de la pétition m’a dit, alors que je mentionnais cette critique positive sur Facebook, que mon argument tombait parce que, parmi les gens qui avaient vu l’exposition, les avis étaient partagés. Mais ce n’est rien comprendre à mon argument ! Que les avis soient partagés, et donc qu’Exhibit B n’ait pas de sens objectif (et en particulier pas celui que John Mullen lui donne), c’est précisément mon point…

Un racisme sans racistes… et les moyens (ou non) de lutter contre

Je propose une nouvelle variation sur le thème du rapport entre le tout et les parties, ou, ce qui revient au même, entre le général et le particulier – ce billet est donc à mettre en rapport avec celui-là (dont la lecture n’est cependant pas du tout nécessaire pour comprendre le présent article).

Cet article de Kate Lovelady mérite d’être médité. Il propose une conception du racisme avec laquelle je crois être en accord à peu près total : le racisme n’est pas (ou pas principalement) un trait de caractère individuel, mais un fait social général qui structure, même de manière inconsciente, nos comportements. L’article s’appelle significativement « Racism without racists ? » ; il n’est pas inutile de le rapprocher de cet article d’Éric Fassin, qui porte le même titre, et dit, sur ce point, à peu près la même chose. Lovelady parle ainsi de « racisme implicite », et elle se fonde sur une étude très intéressante qui vise à établir la manière dont les gens (les Blanc-he-s en particulier, mais pas seulement) associent spontanément et inconsciemment les personnes blanches à des valeurs positives, et les personnes racisées à des valeurs négatives.

Mais je suis gêné quand Lovelady écrit, à propos des modalités de prise de conscience de notre « racisme implicite » :

But it is crucial information for living a more ethical life. If more of us knew about our implicit preferences, we might be more suspicious of our gut instincts, and the gut instincts of others, especially when making decisions that affect other people’s lives.

L’auteure semble supposer que le fait de savoir que l’on est susceptible de jugements ou de comportements relevant du « racisme implicite » permet d’avoir une attitude générale plus suspicieuse envers nous-mêmes et envers les autres, et de « mener une vie plus éthique » en prenant nos décisions plus soigneusement. Or ce n’est pas si simple que ça. Car certes, cette forme de racisme peut faire l’objet d’une attitude réflexive globale : on peut, sur une base statistique, se rendre compte a posteriori qu’on ne se comporte pas de la même manière, dans des situations semblables, envers les Noir-e-s et envers les Blanc-he-s, et donc qu’il y a un problème. En revanche cette forme de racisme, précisément parce qu’elle est « implicite », ne peut pas être simplement identifiée par une posture réflexive locale, à propos d’un événement ou d’un fait particulier. Si, au moment d’avoir tel ou tel comportement vis-à-vis d’un-e Noir-e, on se demande : « est-ce par racisme que je fais ça ? », et si on prend au sérieux l’hypothèse d’un racisme implicite, alors on ne pourra jamais répondre « oui ». En effet, sauf justement dans les cas où ce racisme n’est pas implicite mais conscient, on a toujours d’excellentes raisons non racistes d’agir comme on le fait. Au pire le « racisme implicite » va-t-il nous conduire à accorder plus de poids, plus de valeurs, à des raisons qui nous feront agir de telle sorte plutôt qu’à d’autres raisons qui nous auraient fait agir de telle autre manière ; mais les raisons d’agir d’une manière ou de l’autre existent de toute façon, indépendamment de tout « racisme implicite »[1]. L’hypothèse du « racisme » sera toujours superflue pour rendre compte d’un comportement donné dans un cas particulier.

*

Envisageons un enseignant-e. Une partie de son métier consiste à mettre des notes à ses étudiant-e-s. Or on sait, parce qu’il y a des études sur la question, que les garçons et les filles ne sont pas noté-e-s de la même manière : les notes des garçons sont plus « étalées », elles montent plus haut et descendent plus bas, alors que les notes des filles sont plus tassées autour de la moyenne. Des expériences de correction à l’aveugle permettent d’établir que ce résultat n’est pas lié à une différence réelle de niveau entre les genres, mais aux préjugés inconscients des correcteur/trice-s. Mais que faire de cette information dans les cas concrets où le problème se pose, qui sont toujours, par définition, des cas individuels ? Que doit faire le/la prof qui est au courant de cette statistique ?

En un sens, pas grand chose. Il/elle a beau savoir que, statistiquement, il/elle a plus de chance de mettre un 18 ou un 4 à un garçon qu’à une fille, lorsqu’il met 18 ou 4 à un garçon, c’est qu’il/elle a de bonnes raisons de le faire – du moins, des raisons qu’il/elle est capable d’exprimer a posteriori sans faire appel à un possible sexisme « implicite ». Si le garçon a 18 à sa dissertation, c’est que son plan est bon, que son introduction est bonne, que ses exemples sont bien choisis, que le devoir est écrit dans une langue claire et élégante, etc. Si le garçon a 4, c’est que son travail est inconsistant, que son introduction est mauvaise, que son devoir est mal écrit, que ses exemples sont inadéquats, etc. Ces éléments-là sont bien plus pertinents, pour expliquer sa note, que son appartenance de genre : il est possible, pour le/la professeur-e, de recourir à l’hypothèse contrefactuelle dans laquelle la copie qui a eu 4 aurait été un peu mieux écrite (alors elle aurait eu 5), ou mieux construite (alors elle aurait peut-être eu 7), etc. Il est possible de recourir à l’hypothèse contrefactuelle dans laquelle la copie qui a eu 18 aurait été un peu faible vers la fin : elle n’aurait eu, alors, que 17. Mais il est naturellement impossible au/à la prof d’imaginer une réévaluation de se notation vers le haut ou vers le bas dans l’hypothèse contrefactuelle où le garçon aurait été une fille. À la question : « quelle note auriez-vous mise à cette copie si elle avait été écrite par une fille ? », le/la prof ne peut pas répondre autre chose que « 18 », ou « 4 » – soit la note qu’il lui a réellement mise. Il faut prendre au sérieux l’idée que ce sexisme, ici, ou ce racisme, plus haut, est implicite, inconscient : la conclusion désagréable, mais vraie, de cette idée, c’est que le schéma « j’en prends conscience donc je lutte contre » ne fonctionne pas.

(Du moins, pas de cette manière. Il est possible de se prémunir structurellement contre ce sexisme implicite dans la notation, par exemple en adoptant des grilles critériées, des barèmes précis, pour rationaliser la notation a priori – mais cela pose d’autres problèmes, d’un autre ordre – ou bien en anonymisant les copies – mais cela ne fait que reporter le problème, car cette solution ne fonctionne pas pour les examens oraux, etc.)


[1] Ainsi, dans une situation donnée impliquant, par exemple, une personne noire, nous avons des raisons R(A) d’adopter un comportement A (défavorable à la personne noire) et des raisons R(B), contradictoires avec les précédentes, d’adopter un comportement B (plus favorable à la personne noire). Si l’on tient à l’hypothèse du « racisme implicite », peut-être ce « racisme implicite » va-t-il nous conduire à accorder plus de valeur aux raisons R(A) qu’aux raisons R(B). Mais si on nous interroge en nous demandant pourquoi on a adopté le comportement A plutôt que le comportement B, il suffira d’exposer nos raisons R(A) – et personne ne peut prouver que dans ce cas précis, en l’absence de racisme implicite, les raisons R(A) n’auraient pas aussi été plus fortes que les raisons R(B). L’identification du racisme implicite n’est possible que dans le cas où on a une série de dilemmes entre des comportements A1, A2, A3, A4… défavorables aux personnes noires et, d’autre part, des comportements B1, B2, B3, B4… favorables aux personnes noires, avec une préférence systématique accordée aux comportements relevant de la première série. Dans ce cas, aucune des raisons R(A1), R(A2), R(A3), R(A4)… n’est suffisante pour expliquer l’ensemble des comportements de type A, adoptés au détriment des comportements de type B : dans ce cas, l’hypothèse du racisme (implicite, en l’occurrence) redevient nécessaire.

Agir selon ce qu’on pense

Il est banal de dire qu’il faut agir selon ce qu’on pense (ou : « mettre ses actes en conformité avec ses idées », ou « être cohérent-e avec ses propres valeurs », etc.). Mais je ne suis pas d’accord avec les fondements d’une telle affirmation.

Pour commencer, même si ce n’est pas essentiellement de cela que je vais parler dans ce billet, il ne va pas de soi que cela soit possible de « mettre ses actes en conformité avec ses idées » : cela suppose une homologie structurelle entre les actes et les idées qui ne saute pas aux yeux. D’autre part ce principe est, même chez ceux et celles qui l’énoncent, à géométrie très variable, car je ne crois pas qu’on aurait beaucoup d’indulgence envers un fasciste qui tabasserait des Noir-e-s pour être cohérent avec lui/elle-même, ou, dans un registre moins extrême, à l’égard d’un grand patron libertarien qui frauderait le fisc pour ne pas payer ses impôts. Dans de tels cas, on serait plutôt enclin-e-s à féliciter les individus concernés de ne pas mettre leurs actes en conformité avec leurs idées. (Quant à la question de savoir si on peut leur reprocher moralement leurs idées elles-mêmes, elle ne me paraît pas si évidente à trancher.)

Mais même en laissant de côté ces deux arguments, en voici deux autres :

  • Il est discutable, éthiquement, d’exiger des gens qu’ils s’imposent des contraintes morales supplémentaires uniquement parce qu’ils sont parvenus à certaines conclusions théoriques sur ce qu’il faut, ou faudrait, faire. C’est un peu comme si les gens étaient punis pour avoir trop réfléchi : ils ont le mérite d’avoir examiné une question et d’être parvenus à des conclusions non triviales, et la rétribution qu’on leur en accorde, c’est soit de leur imposer de faire des choses qu’ils n’ont pas envie de faire, soit de les culpabiliser de ne pas les faire.
  • Ce type d’approche morale met en danger un certain nombre de caractères fondamentaux de la pensée et du discours, surtout en matière politique, à savoir : la rationalité, l’objectivité, voire le désintéressement. À force de vouloir mettre en conformité ses actes avec sa pensée, il peut être très tentant de mettre, plutôt, sa pensée en conformité avec ses actes, et de se construire une morale ad hoc sur laquelle il devient, dès lors, impossible de discuter, car celle-ci ayant des bases irrationnelles, ayant pour seul but le confort moral de celui ou celle qui la forme, elle est, en droit, robuste aux arguments et inattaquable par la discussion.

À ces conceptions subjectivistes de la morale, et pour les raisons que je viens de dire, je préfère, décidément, une conception objectiviste, qui fonde l’évaluation morale d’une action donnée sur l’action elle-même (en incorporant, dans la notion d’ « action », l’intention qui l’accompagne), et non sur la relation entre cette action et les croyances personnelles de l’agent.

Ainsi, pour donner un exemple précis : j’ai déjà discuté avec des antispécistes (c’est-à-dire des gens qui pensent que les animaux non-humains et les êtres humains sont des sujets moraux de dignité équivalente) qui considèrent que leurs idées antispécistes, issues d’une assez longue réflexion, leur imposent moralement de ne pas faire de mal aux animaux, et notamment de ne pas manger de produits d’origine animale (ou de ne pas s’habiller avec des produits d’origine animale, etc.). Mais il me paraît beaucoup plus logique de considérer :

  • soit que le fait de manger des animaux est moralement mal, que l’on soit antispéciste ou non ;
  • soit que le fait de manger des animaux est moralement acceptable, que l’on soit antispéciste ou non.

Dans ce cas, les antispécistes devraient considérer que le fait d’être antispéciste leur permet de découvrir une vérité morale (« il faut traiter les animaux non-humains comme des humains », donc « il ne faut pas manger de produits d’origine animale »), mais pas que leur antispécisme fonde par lui-même des exigences morales.

Cinéma et politique : des critiques arbitraires (3e partie)

Première partiedeuxième partie

Je reprends ma série de billets consacrés à l’arbitraire à l’œuvre dans les critiques politiques des films. Dans un premier billet, j’avais avancé l’idée que les critiques politiques de films, telles que celles proposées par le site Le cinéma est politique (LCEP), étaient arbitraires, au sens où elles déployaient un argumentaire cohérent pour démontrer des choses alors qu’on aurait tout aussi bien pu, avec autant de rigueur et de cohérence, démontrer exactement l’inverse. Dans ce billet-ci, comme dans le précédent, je tâche d’être un peu plus précis, et de présenter cinq procédés par lesquels les contributeur/trice-s de LCEP choisissent arbitrairement de donner au film qu’ils/elles commentent tel ou tel sens, tout en laissant croire qu’ils/elles se contentent de parler objectivement du film. Les trois premiers de ces cinq procédés ont fait l’objet des sections 4, 5 et 6 du billet précédent. Voici les deux derniers – ils m’ont l’air moins évidents à nommer et à identifier que les précédents, ce qui justifie que je m’y attarde un peu plus longuement.

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7.

Le quatrième procédé, je lui donnerais volontiers le nom pompeux de « présupposition d’iconicité ». Par « iconicité », j’entends le fait qu’un élément, et en particulier un personnage, soit représentatif de sa catégorie[1]. Si une femme adopte dans un film un comportement donné, et que l’on en conclue que le film est en train de nous suggérer que toutes les femmes, ou les femmes en général, sont enclines à adopter ce comportement, cela suppose que la femme du film a une dimension iconique. Or les personnages sont toujours aussi des individus singuliers, et cette singularité, donc cette non-iconicité, est aussi bien souvent construite par le dispositif du film lui-même. J’ai une amie qui me soutient, avec des arguments dont je ne me souviens plus bien, que le film Les garçons et Guillaume, à table ! est homophobe. Or précisément, le film ne m’a pas du tout paru homophobe, parce que quels que soient les clichés auxquels le héros (Guillaume, joué par Guillaume Gallienne) se conforme, le film suggère en même temps qu’il s’agit d’une histoire individuelle, singulière, qui n’a pas nécessairement de portée générale. En l’occurrence, c’est notamment la dimension autobiographique de l’œuvre qui me semble préserver de l’iconicité le personnage principal du film.

Je m’étais fait cette réflexion en considérant, sur LCEP, l’article de Julie Gasnier sur Pretty Woman. Je n’ai pas vu ce film – mais j’ai été frappé à la lecture de ce bref passage :

Comme si le film tentait de nous dire qu’en plus de la sauver d’une condition sociale misérable, l’HOMME RICHE va également sauver la femme de sa condition honteuse en lui apportant le respect sur un plateau (celui des autres et celui qu’elle a pour elle-même…).

Ici, sans vraiment de justification (mais avec une précaution oratoire, le comme si), on passe de l’analyse d’un film impliquant un personnage masculin et un personnage féminin, à la dénonciation d’un discours général sur « l’homme riche » et « la femme ». Certes, il y a peut-être de bonnes raisons, internes au film, de postuler cette iconicité des personnages. Certains films construisent l’iconicité de leurs personnages. Il me semble que c’est le cas dans Gravity, pour reprendre un exemple déjà évoqué (ici) : dans ce film, il n’y a que deux personnages, du coup ni la masculinité ni la féminité ne se trouvent diluées en un grand nombre de figures concurrentes ; et puis le film est par certains côtés un apologue moral, un conte sur la vie, ce qui invite à voir, dans les situations et les héros/ïnes qu’il présente, de véritables allégories. Dans une certaine mesure au moins, on est donc invité-e à voir, dans le personnage féminin, une représentante des femmes en général, et dans le personnage masculin, un représentant des hommes en général. Mais pour ce qui est de Pretty Woman, je regrette, en l’occurrence, que Julie Gasnier semble présupposer l’iconicité des deux personnages principaux, plutôt que de chercher à la démontrer.

Je signale aussi, dans le même ordre d’idées, l’article très récent de Fanny Gonzagues sur Une histoire banale, d’Audrey Estrougo. Il s’agit de l’histoire d’une femme nommée Nat, qui subit un viol vers le début du film. À un moment, Nat se met à avoir de nombreux partenaires sexuels. L’auteure de l’article se demande si ce choix narratif ne risque pas de suggérer que la sexualité à partenaires multiples est nécessairement la conséquence d’un traumatisme. Mais elle répond rapidement par la négative, en écrivant : « je pinaille un peu car il est clair que Audrey Estrougo raconte l’histoire de Nat, histoire du coup particulière et personnelle à son personnage et elle n’universalise pas la réaction de Nat. » Seulement, quelques paragraphes plus bas, Fanny Gonzagues écrit (c’est moi qui mets en rouge) :

Un jeune homme vient parler à Nat qui est assisse dans un parc seule sur un banc. Il lui dit qu’il la trouve mignonne et qu’il veut lui donner son numéro. Au début, elle est froide mais le type insiste, s’assoit à côté d’elle et va jusqu’à la toucher, s’incruste dans sa sphère d’intimité mais comme il fait des blagues en même temps, sa drague semble passer mieux et Nat finit par discuter avec lui et accepter son numéro. Pour ma part, cela me semble assez problématique car cela suppose qu’il y aurait une façon de faire qui permettrait de dégeler les femmes qui disent non et conforterait les « artistes de la drague » à bien insister et à se donner après des conseils bien horribles.

L’auteure nuance un peu cette conclusion dans la toute fin de son texte, mais elle ne revient pas sur l’idée que le comportement de Nat et du jeune homme pourrait être porteur d’une leçon générale sur « la drague ». Là encore, je n’ai pas vu le film, donc il se peut très bien qu’il y ait des éléments internes au film qui permettent de supposer l’iconicité dans un cas et pas dans l’autre, mais tel que l’article est présenté, la différence d’analyses entre un cas et l’autre semble assez gratuite.

8.

Je voudrais finir en mentionnant un cinquième procédé qui me semble nourrir l’arbitraire des critiques : la confusion entre descriptif et normatif. Le fait de représenter un personnage P ayant un comportement C peut signifier : « P fait C », ou bien, si l’on présuppose l’iconicité de P, « tous les personnages qui sont comme P font C ». Mais parfois, les contributeur/trice-s du site interprètent ça comme : « P doit faire C », ou plus exactement, si on présuppose l’iconicité de P, « tous les personnages qui sont comme P doivent faire C » – ou encore « Il est bon/juste/normal que tous les personnages qui sont comme P fassent C. » Plus généralement, la représentation d’une situation donnée peut signifier trois choses distinctes :

  • cette chose (dans le film) est comme ça ;
  • ces choses-là (dans le monde) sont comme ça ;
  • les choses (dans le monde) doivent être comme ça.

Je me souviens d’avoir vu, en présence du réalisateur, Le Grand Retournement, de Gérard Mordillat. Il s’agit d’un film sur la crise économique de 2008, qui se passe dans les hautes sphères de la politique et de la finance. Après le film, dans sa prise de parole, Mordillat avait anticipé une question, et précisé que s’il y avait très peu de femmes dans le film, c’était parce qu’il y en avait très peu dans la pièce de Frédéric Lordon dont le film était tiré. Et s’il y en a très peu dans la pièce de Lordon, c’est parce que les univers dépeints sont des univers essentiellement masculins. La sous-représentation des femmes dans le film est ici justifiée (mais n’est-ce pas à bon droit ?) par une volonté de vraisemblance : il s’agit de décrire un état du monde, caractérisé par le sexisme, et non de faire l’apologie d’une telle situation.

On peut réinterpréter certaines de mes remarques précédentes à la lumière de cette opposition descriptif/normatif. J’ai déjà parlé ici du film Carnage, de Polanski. Voici un extrait (déjà reproduit) de ce que Paul Rigouste en écrit :

Un autre moment où semble se dessiner une union entre les femmes est celui où toutes deux réclament de l’alcool, puisque les hommes s’en sont servi sans leur en proposer. Ce passage peut sembler intéressant dans la mesure où les femmes pointent ici du doigt leur exclusion arbitraire d’un plaisir qui fut longtemps privilège masculin. Mais le film neutralise rapidement cette piste proto-féministe en montrant les femmes complètement pathétiques sous l’emprise de l’alcool.

Si l’on admet l’iconicité des femmes du film, on peut penser soit que le film montre que les femmes tiennent moins bien l’alcool que les hommes (ce qui est probablement vrai, à la fois pour des raisons morphologiques et pour des raisons culturelles), soit que le film présente comme positive et légitime la punition immanente que subissent les femmes qui, en buvant de l’alcool, prétendent accéder à un privilège masculin. Paul Rigouste semble pencher en faveur de la seconde solution, mais je crois me souvenir que cela ne correspond pas à mon expérience de spectateur.

Il me semble en fait que cette confusion est très répandue dans les articles de LCEP. À l’instant, je reparcours la critique de Noëlle Dupuy consacrée au film Her. Dans ce film, qui se passe dans un avenir assez proche, un homme tombe amoureux d’un ordinateur, doté d’une voix et d’une personnalité féminines. Sous la plume de Noëlle Dupuy, je lis : « La première question que lui pose le nouveau logiciel – de sa voix masculine, mais en même temps censée être encore ‘neutre’ – au moment de l’installation c’est : ‘Voulez-vous une voix féminine ou masculine ?’ ». Le fait que la neutralité soit assimilée à la masculinité semble dénoncé par l’auteure de l’article – pourtant, elle note elle-même que :

dans le civil, le développement récent des nouvelles technologies les logiciels mis au point par Google ou Apple, reproduisent cette division genrée des voix en fonction de leurs tâches et fonctions. C’est le cas notamment pour l’application Siri, le logiciel d’assistant de bureau d’Apple, qui a une voix de femme – parce que c’est une secrétaire, et que les secrétaires sont à 97,9 % des femmes.

Dans le film, le fait que le machine ait par défaut une voix masculine pourrait très bien être interprété comme la simple mention d’un fait du monde, peut-être même implicitement critique, et non comme une prescription insidieuse.

Je signale aussi que le blog Music in Lodge, tenu par un certain G.T., fait, dans cet article, une critique sévère de LCEP, et plus particulièrement de l’article de Paul Rigouste[2] consacré à Killer Joe (que je n’ai pas vu). Un passage au moins du texte de G.T. dénonce, sans la décrire en ces termes, une confusion du descriptif et du normatif à l’œuvre, pas précisément dans l’article sur Killer Joe, mais sur le site LCEP en général :

Prenons un exemple général pour montrer à quel point ce type de critiques idéologiques est stérile, et à côté de la plaque. Imaginons une scène d’un film dans laquelle vous avez un comité d’administration d’une grande entreprise entièrement composé d’hommes blancs, et pendant leur réunion, on voit à travers la vitre une femme noire faire le ménage dans la pièce à côté. Bien entendu, les adeptes de ces critiques idéologico-moralistes ne manqueront pas de réagir, et de se scandaliser de cette représentation, nous disant qu’elle entretient les stéréotypes, qu’elle est sexiste et raciste blablabla. Sauf que cette même scène peut être considérée comme une scène qui montre bien une inégalité. Il en va de même pour toute analyse de stéréotypes dans les films : sont-ils là pour servir une idéologie dite « dominante », pour imposer dans les esprits de toute la société des représentations clichés et définir des rôles immuables, sont-ils là au contraire pour montrer une inégalité, ou tout simplement refléter une réalité ? Là encore, si ce n’est pas explicité clairement par le film, on ne peut le dire à sa place, il n’y a pas lieu de s’en servir comme tremplin idéologique.

Dans un article intitulé « L’enfer est pavé de bonnes intentions », et tout à fait brillant, G.T. met en scène une discussion fictive entre des scénaristes qui voudraient essayer de se conformer aux exigences des contributeur/trice-s de LCEP. Je vous conseille de lire ce texte en entier, parce qu’il est vraiment excellent, mais dans le cadre de ce modeste billet, je n’en retiens, à titre d’exemple, qu’un petit morceau. On en est au choix des personnages (le rouge et le bleu sont de moi) :

« Alors on n’a qu’à faire du petit dealer une petite dealeuse black… »

« Ouais mais on a dit qu’ils étaient une dizaine, alors qu’est-ce qu’on fait, on n’en met qu’une sur 10 Ou 10 dealeuses blacks ? »

« Non non, parité chez les dealers, 5 mecs, 5 filles… »

« Je suis pas d’accord, ce sont tout de même le plus souvent les hommes de ces milieux défavorisés qui tombent dans la petite délinquance, on risque de faire croire aux gens que les femmes sont aussi nombreuses dans la délinquance, et c’est pas vrai, c’est tout de même une chose positive qu’on ne peut enlever aux femmes. »

« OK, alors mettons 8 petits dealers et 2 dealeuses… »

« Elles risquent de passer pour infériorisées, soumises aux hommes qui sont en nombre… »

« Alors faisons de l’une d’elles la cheffe du clan… »

« Tu n’y penses pas ! Mais c’est quoi le message que l’on va envoyer comme ça ? Que les femmes dans ces populations peuvent sans problème diriger une bande de mecs ? C’est une insulte à leur condition, à leur réalité et leur oppression… […] »

Les passages en rouge dénoncent un élément du film en présupposant sa dimension descriptive, et en l’évaluant au prisme de ce critère. D’après le ou les personnages qui parlent en rouge, c’est la fidélité descriptive du film qui doit servir de critère d’évaluation ; du coup, le film risquerait d’être réactionnaire s’il représentait infidèlement la réalité. Pourtant, si on envisageait les mêmes éléments en les considérant comme normatif/ve-s, on les trouverait progressistes : on féliciterait le film de suggérer qu’une femme est capable de diriger une bande de dealeur/euse-s.

Inversement, le passage en bleu dénonce un élément du film en présupposant sa dimension prescriptive : il serait réactionnaire, quoique réaliste, de montrer une bande de dealeur/euse-s avec moins de femmes que d’hommes, parce que ça laisserait entendre que les choses sont très bien comme ça. Mais si on présupposait au contraire que l’esthétique du film était fondée sur le réalisme, voire sur un réalisme critique, on pourrait trouver très positive cette dénonciation du sexisme.

*

Tout cela est à compléter. Je ne suis pas sûr du tout d’avoir envisagé de manière exhaustive les procédés par lesquels les contributeur/trice-s du site LCEP se permettent d’écrire leurs critiques si souvent arbitraires et gratuites. Je suis même à peu près certain du contraire : la lecture d’un  article récent de Paul Rigouste (sur La Petite Sirène, Aladdin et La Belle et la Bête) m’a fait bondir ; j’ai essayé de rattacher ce qui me gênait à l’un des cinq cas que j’ai proposés dans cet article et dans celui-là, mais je n’y suis pas vraiment arrivé. J’essaierai peut-être d’en dire un mot un de ces quatre, mais pour résumer d’ores et déjà ma principale objection à ce texte de Paul Rigouste, je dirais qu’il se fonde sur une conception du réalisme qui me semble assez stalinienne au fond, et qui suppose un refus paradoxal de rendre compte des contradictions pourtant à l’œuvre dans le réel. Du coup, il est insupportable à Paul Rigouste qu’un dessin animé représente un personnage (le père d’Ariel, le père de Jasmine) à la fois comme un oppresseur et comme un être bienveillant, bien intentionné et aimant – alors que la figure de l’oppresseur gentil et bien intentionné est évidemment une figure réelle, et fréquente. Peut-être, du reste, qu’une grande partie des problèmes de ce site tient à leur conception implicite du réalisme.

En attendant que je sois en mesure de terminer mon analyse sur ce procédé-là (un sixième ?), je me dis qu’il pourrait être amusant, intéressant et édifiant de faire une étude de cas, de prendre un article de LCEP avec lequel je ne suis vraiment pas d’accord, et de le décortiquer analytiquement pour essayer de voir, à chaque désaccord, le procédé sous-jacent, et dans laquelle des cinq ou six catégories précédemment évoquées il tombe. Je ne pense pas en avoir prochainement le courage, et je ne suis pas sûr d’en avoir déjà les moyens conceptuels. Peut-être y reviendrai-je un jour.

En attendant, pour finir cette série de billets, reste à examiner une série de questions plus fondamentales, que je n’ai pas arrêté de poser implicitement dans tout ce que j’ai écrit jusque là, et relatives à ce que c’est, au fond, que le sens d’un film. Je prévois une quatrième partie conclusive qui reviendrait notamment sur ce problème à la lumière de tout ce que j’ai écrit. Je ne suis pas sûr, en revanche, de pouvoir la produire dans un bref délai – car j’ai d’autres idées de billets qui ont surgi, ces derniers jours. Mais normalement, cette quatrième et dernière partie devrait voir le jour, sous une forme ou sous une autre, à pas trop longue échéance. [edit 22/12/14 : cette quatrième partie prend finalement la forme d’un double billet autonome]

[edit 14/12/14 : précisions terminologiques ici]


[1] C’est un ami qui m’a soufflé le terme.

[2] Je passe mon temps à parler de lui. Je ne sais pas si c’est parce que ses articles reflètent mieux que les autres, et de façon plus pure, la ligne éditoriale du site, ou parce qu’il est parmi les plus actif/ve-s des contributeur/trice-s et que c’est à cause d’un pur effet statistique que je donne un peu l’impression de m’acharner sur lui (fût-ce à travers les critiques d’autres blogueurs, comme G.T. ici, ou Lizzie Crowdagger ailleurs).